Seuls ceux qui sont capables de surmonter le vertige pourront se pencher par la fenêtre tandis que le bus grimpe à travers des paysages brisés, offrant au spectateur un défilé de ravins et de falaises, de rochers et de gorges, de pentes abruptes qui plongent dans des vallées où poussent des bananiers. Nous sommes à La Gomera, cette île des Canaries qui apparaît petite et ronde sur la carte, bordée par Tenerife, et quelque peu protégée du large par l’arrière d’El Hierro.
Ici, dans la deuxième plus petite sœur de l’archipel, l’orographie ne donne pas seulement un sens aux coutumes, mais aussi à la culture du lieu. Même le caractère : comprendre l’idiosyncrasie d’El Hierro signifie comprendre la phrase d’isolement à laquelle son paysage le condamne. Ce territoire étrange et étranger, parfois hostile, est fait pour ceux qui sont capables de frissonner au son du vent battant les sommets ou de l’océan furieux qui attire baleines et dauphins à quelques mètres de la côte.
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Potins historiques
Un beau jour, Christophe Colomb arriva à La Gomera avant de traverser l’Atlantique. Il l’a fait en contournant Ténériffe et en laissant derrière lui, majestueuse, la silhouette du mont Teide. C’est ainsi que cette île minuscule devint la dernière étape vers l’un des grands jalons de l’histoire de l’humanité : c’est ici que l’amiral prit l’eau avec laquelle, des mois plus tard, l’Amérique serait baptisée.
C’est également à La Gomera, selon les rumeurs, que le découvreur aurait eu une rencontre passionnée avec Beatriz de Bobadilla, à qui les rumeurs historiques attribuent également des amours avec le roi Ferdinand le Catholique. Quoi qu’il en soit, la piste de Colomb peut être suivie dans la capitale, Saint-Sébastien, où vous trouverez un quartier historique aux accents coloniaux et des maisons discrètes qui grimpent sur la montagne.

Église de Nuestra Señora de la Asunción à San Sebastian de la Gomera
Ce village paisible est le principal centre urbain, mais pas le seul. Cachée dans les plis des ravins, l’île surprend par ses charmants villages. Agulo, au nord, est peut-être le plus beau, avec son architecture populaire pittoresque et sa position sur un amphithéâtre rocheux où coulent les cascades. Et à l’extrême sud, se distinguent Alajeró, accroché au flanc d’une colline, et Playa de Santiago, aux séduisants airs marins.
Parler avec des sifflets
Au-delà des villages, mieux vaut découvrir la nature qui a forgé la personnalité de ce territoire sans hiver, dont le journal britannique a d’ailleurs souligné l’importance. The Times a choisi l’année dernière comme l’une des 15 meilleures destinations au monde à visiter pendant les mois froids. Une personnalité à qui l’on doit un système de communication unique au monde : le silbo gomero, déclaré patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Le silbo gomero, patrimoine culturel immatériel de l’humanité, est aujourd’hui menacé par la technologie.
Cette langue basée sur des sifflements modulés, aujourd’hui menacée par la technologie, est née de l’art de la nécessité, lorsque la vie sur cette île n’était rien d’autre qu’un voyage isolé entre des dizaines de ravins : avec le sifflet, on franchissait de longues distances et on échangeait des messages, des avertissements, des messages, des messages d’amour… Aujourd’hui, sa valeur (et son danger d’extinction) est telle qu’elle est même enseignée dans les écoles en tant que matière scolaire.
Comme Roméo et Juliette
Il est donc temps d’explorer le grand point de repère de La Gomera : le parc national de Garajonay, qui occupe dix pour cent de la superficie de l’île. Une impressionnante réserve de lauriers, la plus grande connue, datant de l’ère tertiaire. Oui, celle du tremblement de terre et de l’extinction des dinosaures. Celle qui a recouvert d’une jungle dense les paysages solitaires du sud de l’Europe et de l’Afrique du Nord.

Garajonay possède l’un des plus beaux exemples de forêt de lauriers de la planète.
Entrer dans ce parc, c’est découvrir ce qu’était la vie il y a 20 millions d’années. Mousses, lichens, fougères, bruyères, roses trémières, lianes… et jusqu’à quarante espèces végétales tapissent les fonds d’une forêt couverte de brume, où la pluie tombe à l’horizontale : les arbres, comme si leurs branches étaient des éponges, retiennent l’eau transportée par les nuages, créant des rideaux de vapeur.
Garajonay, c’est aussi une histoire d’amour. Celle que raconte la légende associée à son nom. Une sorte de Roméo et Juliette en version guanche, où Gara et Jonay sont les protagonistes d’une histoire dramatique. Elle était une princesse de Gomera, lui un prince de Tenerife. Mais leurs familles respectives s’opposent à leur idylle. Non contents de cette circonstance, ils s’enfuient au point le plus élevé de cette forêt pour se fondre dans une étreinte éternelle, se transperçant le cœur avec un bâton de cèdre.
L’île vue du ciel
Les promenades que l’on peut faire dans ce parc sont nombreuses et durent toutes quelques heures : linéaires et circulaires, courtes et longues, simples et exigeantes. Mais la plus convoitée est l’ascension de l’Alto de Garajonay, le point culminant, où les jeunes aborigènes choisirent de mourir d’amour.

Vues de l’océan et du Teide depuis le belvédère d’Abrante.
Plus modeste mais non moins riche, le parc naturel de Majona, au nord-est, avec sa belle forêt de tabaiba, et la réserve naturelle de Benchijigua, à l’intérieur, avec un géant photogénique, le Roque de Agando, que seuls les plus téméraires osent escalader. Et pour ceux qui ne veulent pas faire travailler leurs jambes, mais qui veulent profiter de la vue, il y a le spectaculaire mirador d’Abrante. Une sorte de couloir vitré d’où l’on jouit d’un panorama inégalé, suspendu dans le vide.
Avec tant de beauté sur la rétine, l’estomac sera prêt à découvrir la gastronomie de La Gomera, qui cache des nuances différentielles par rapport au reste des îles Canaries. Une cuisine raciale célèbre pour l’almogrote, une pâte à base de fromage dur, d’ail, d’huile, de tomate et de paprika, le tout patiemment écrasé. Elle est également réputée pour sa variété de poissons (un plat typique est la buche gomero, avec des tripes de thon) et pour ses fromages, fumés à la bruyère et aux tabaibas. Sans oublier ses vins héroïques, adaptés au terrain accidenté : ses vignobles, à 500 mètres d’altitude, sont un hymne au génie populaire.
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