En janvier 2009, José María Aznar est invité par l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin à donner une conférence à Paris à l’occasion du 60e anniversaire de l’OTAN. L’ancien Premier ministre espagnol, alors considéré comme une référence par la droite française, avance l’idée d’étendre les frontières de l’Alliance au monde entier : abandonner le cadre géographique fondateur de l’organisation (l’Atlantique Nord) et intégrer à l’OTAN les grands pays démocratiques d’Asie et d’Amérique latine.
À l’époque, la France prépare le terrain pour un retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, que le général de Gaulle avait décidé de quitter en 1966 pour renforcer l’autonomie française en matière de politique étrangère et de défense. Pour Nicolas Sarkozy, il s’agissait d’une démarche difficile à faire accepter par l’opinion publique, si bien que l’idée d’Aznar d’étendre l’OTAN jusqu’aux confins de l’univers semblait à l’époque totalement extemporanée. Aujourd’hui, quatorze ans plus tard, l’expansion géographique de l’Alliance dérange à nouveau Paris.
Un navire de guerre chinois croise devant le destroyer américain USS Chung-Hoon le 3.
En avril dernier, une délégation de l’OTAN dirigée par le général Francesco Diella, chef de la Division sécurité coopérative de l’OTAN, s’est rendue à Tokyo pour négocier l’établissement d’un bureau de liaison de l’OTAN dans la capitale japonaise, le premier en dehors de la sphère d’action de l’Alliance. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie globale de renforcement des relations avec les pays de l’Indo-Pacifique – Australie, Corée du Sud et Nouvelle-Zélande, ainsi que le Japon – afin de contrer les ambitions de la Chine, que l’OTAN a qualifiées de « défi systémique » lors du sommet de Madrid en 2022.
L’initiative a été stoppée, pour le moment, comme l’avait avancé le Financial Times Le président français, Emmanuel Macron, ne voulant pas alimenter les tensions croissantes entre l’Occident et la Chine, a mis son veto au traité. « L’OTAN est pour l’Atlantique Nord et les articles V et VI (du traité) limitent clairement le périmètre », a souligné une source officielle française. C’est-à-dire l’Europe et l’Amérique du Nord.
La France s’oppose à l’ouverture d’un bureau de liaison de l’OTAN au Japon, hors de son champ d’action
Ces dernières années, la Chine a augmenté de manière exponentielle, d’un trait de plume – par le biais de crédits et d’investissements dans des infrastructures associées à l’initiative Belt & Road ou à l’initiative Belt & Road – le nombre de pays de la région qui ont pu construire un bureau de liaison de l’OTAN au Japon. Les nouvelles routes de la soie, Les États-Unis ont réussi à étendre leur pouvoir d’influence en Afrique et en Amérique latine, et l’étendent à présent au Moyen-Orient. L’Europe n’est pas restée à l’écart de cette infiltration furtive, qui a progressé principalement – mais pas uniquement – par le biais des pays de l’Est. Deuxième économie mondiale, le régime dirigé d’une main de fer par Xi Jinping a pour ambition d’assurer l’hégémonie de la Chine en Asie, de détrôner les États-Unis en tant que première puissance économique et technologique mondiale et d’instaurer un nouvel ordre international multipolaire dans lequel Washington n’aurait plus le dernier mot.
La montée en puissance de la Chine inquiète à juste titre l’Occident. Mais les intérêts des Européens et des Américains ne sont pas exactement les mêmes. Avec sa politique de pression maximale – économique, commerciale et militaire – Washington cherche non seulement à contenir de manière préventive la menace potentielle que représente le régime totalitaire de plus en plus affirmé – voire agressif – de Pékin, mais aussi et surtout à défendre la suprématie des États-Unis dans la région et à maintenir la hiérarchie mondiale actuelle. Mais ni les objectifs ni les moyens ne sont pleinement partagés par l’Europe, qui est déjà devenue une deuxième table pour les Américains sous Obama – déplacée par l’Asie – et que seule la guerre en Ukraine a remise au menu.
L’état actuel de quasi-guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine – qui, paradoxalement, n’a pas empêché les échanges commerciaux entre les deux pays d’atteindre l’an dernier un record historique : 689 milliards de dollars – présente de sérieux risques d’escalade vers une confrontation militaire au sujet de Taïwan, la province rebelle – et premier producteur mondial de semi-conducteurs – sur laquelle Pékin revendique sa souveraineté.
Blinken cherche à ouvrir des canaux de communication avec Pékin pour éviter une escalade accidentelle
Les analystes les plus durs estiment que Xi Jinping a peut-être déjà décidé de lancer une attaque préventive pour reprendre le contrôle de Taïwan avant que l’indépendance ne devienne, avec le soutien de Washington, un fait irréversible. D’autres considèrent cette hypothèse comme peu probable. Ce qui n’est pas à exclure en tout cas, c’est qu’un incident fortuit puisse déclencher la machine infernale de la guerre. Le jeu du chat et de la souris entre les navires chinois et américains dans la région – le 3, un navire chinois a croisé la route d’un destroyer américain dans le détroit de Taïwan dans une manœuvre risquée, menaçant d’une collision – est très dangereux. L’un des objectifs de la visite que le chef de la diplomatie américaine, Anthony Blinken, entame aujourd’hui à Pékin est d’ouvrir des canaux de communication entre les deux puissances afin d’éviter une escalade accidentelle. Et, dans le meilleur des cas, de commencer à désamorcer les tensions.
La réticence d’Emmanuel Macron et du chancelier allemand Olaf Scholz à suivre la ligne dure de Washington – le président français a explicitement rejeté tout « suivisme » sur cette question – est légitime et correspond au sentiment majoritaire de la population européenne (selon un récent sondage du Conseil européen des relations étrangères). Pour l’UE, la Chine est un rival, mais aussi un partenaire avec lequel il faut coopérer. Et le risque d’alimenter un éventuel conflit armé est trop élevé. Mais il y a aussi une considération stratégique : si l’Europe veut compter dans le monde, elle doit avoir sa propre voix.
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