Les incendies de forêt qui ont précocement dévasté le Sud-ouest mais aussi des territoires importants partout en France interrogent, au-delà de la demande de moyens, notre gestion de la forêt, son usage et la cohabitation avec les habitudes humaines du XXIe siècle. Olivier Gaujard, président de Fibois Sud, l’interprofession de la filière Forêt-Bois sur le territoire de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Carpentier, expert, formateur, fundateur d’un bureau d’études en construction bois, il milite pour une approche équilibrante qui redonne au bois, à la forêt sa juste place dans nos vies, dans nos écoles et dans notre industrie.
Comment comprendre l’extension des feux majeurs et précoces, que ce soit dans le Sud-Ouest ou dans les Bouches-du-Rhône ?
Olivier Gaujar : C’est la continuité d’une évolution, le dérèglement climatique, qu’on pressent et qu’on constate depuis de très nombreuses années. Les caractéristiques de ce dérèglement climatique sont très favorables au développement des feux de forêt essentiellement à cause de l’élévation des températures et de l’augmentation des périodes chaudes qui résistent aux phénomènes de sécheresse.
C’était vrai dans notre région et ce phénomène se développait progressivement vers d’autres régions, du côte de Narbonne, vers Toulouse, puis vers Bordeaux et le nord des Landes pour aller vers le centre Val de Loire. À Avignon, l’INRAE un produit des cartes révélatrices. C’est un phénomène qui va s’aggraver dans le temps.


Est-ce qu’il y a une façon de gérer la forêt qui tienne compte de ces dangers et de ces mutations ?
JEUNE : Il y a des dispositions à prendre et qui vont dépendre beaucoup des situations géographiques. Le sujet de la forêt méditerranéenne est bien différent du sujet de la forêt landaise, constitué uniquement de pins, c’est une forêt industrielle plantée par l’homme et exploitée par l’homme. Elle a un sous-bois très touffu, avec beaucoup de fougères qui ont propagé l’incendie aux pins qui eux-mêmes étaient en très secs. On pourrait se dire qu’il fallait débroussailler ? Mais qui en assumerait le coût ? Ce serait surtout détruire un écosystème forestier et sa biodiversité qui a ses propres équilibres. Il n’y a pas une solution idéale.
L’idéal, c’est de ne pas mettre le feu à la forêt ! La vraie question est de savoir commenter habite la forêt. Tous les problèmes de mégots, de cigarettes, de bouteille, de barbecue, etc. demande une éducation de la population, dès le plus jeune âge.
Et la forêt méditerranéenne ?
JEUNE : Dans le cycle de vie de cette forêt, l’épisode incendie était tout à fait bénéfique ! L’incendie en tant que tel, nous êtres humains, nous trouvons que « ça ne fait pas joli ». La forêt littorale a des graines qui sont enfouies dans le sol et qui ont besoin du feu pour germer. Ces incendies de forêt permettent d’éliminer toutes sortes de parasites qui portent atteinte au développement forestier. Le problème, c’est la durée de ces cycles. Le feu était bienvenu, tous les 40, 50, 60 ans. Mais pas tous les 2 ou 3 ans et c’est notre problème aujourd’hui : la fréquence de ces incendies. Dans les cycles écologiques de la forêt méditerranéenne, l’incendie a toujours été présent, comme dans toutes les forêts d’ailleurs, du pourtour de la Méditerranée, c’est la répétition trop fréquente qui pose des problèmes. Les populations au fil des siècles ont été organisées pour limiter l’impact. Le vrai problème est de gérer la cohabitation entre les établissements humains et la forêt elle-même, notamment par la gestion des lisières forestières.
Le vrai problème est de gérer la cohabitation entre les établissements humains et la forêt elle-même, notamment par la gestion des lisières forestières.
Olivier Gaujar
De nos jours la forêt continue de growir, à cause de la déprise agricole, la forêt progresse spontanément ce qui conduit ou une situation où il n’y a plus de zones de transition entre les zones habitées, qu’elle soit urbaine, périurbaine ou villageoise et les zones forestières. Cette lisière indispensable est entretenue par l’agroforesterie, l’arboriculture, le sylvopastoralisme : les troupeaux de moutons ou de chèvres maintenaient les sous-bois. Tout cela correspondait aux périodes où l’agriculture était l’activité principale. Ces modes de gestion sont en train de revenir au goût du jour, on commence à comprendre qu’il y aurait un intérêt à gérer ces lisières forestières.
Si notre forêt était mieux exploitée, mieux valorisée, est-ce que les forêts séient plus entretenues ?
JEUNE : Nous ne consommons que 25 % de l’accession de la forêt et la moitié du territoire de Provence alpes Côte d’Azur est constituante de forêts. Cette forêt se densifie, s’accroît explorant chaque année, la difficulté est de trouver les gens pour l’exploiter. Autrement dit, c’est de trouver des rémunérations pour motiver les propriétaires à intervenir dans leur forêt, à rémunérer des entrepreneurs de travaux forestiers des débardeurs, des exploitants forestiers qui en font le commerce. Nous ne produisons que 30 000 à 35 000 m3 de bois.


Dans notre région, depuis 70 ans, les activités rémunératrices comme l’utilisation du bois dans la construction ont disparu. Mais le problème majeur est celui de la papeterie de Tarascon, qui consomme des volumes considérables de bois, 1 200 000 tonnes de bois par an. 600 000 tonnes seulement proviennent de notre région. Comme il s’agit d’en faire du papier, la stratégie est d’acheter la ressource la moins chère possible et de l’exploiter au coût le plus bas possible. L’exploitant forestier, les entrepreneurs de travaux forestiers se sont équipés spécifiques pour ce métier-là, avec des coupes de 2 m 20 ou 2 m 30 de longueur pour être transportées sur des camions. C’est à l’opposé de ce qu’on appelle des grumes, les troncs d’arbres pour la construction bois qui sont coupés, eux, à 16 m de long. Cette aspiration de Tarascon a conduit à la disparition quasi-totale des grumiers dans notre région et à une exploitation de la forêt exclusivement pour deux industriels récupérés : la papeterie et le bois-énergie des petites chaufferies.
Le temps forestier, c’est la décennie ou plus.
Olivier Gaujar
Cette situation doit impérativement, on doit beaucoup mieux essayer le bois et l’utiliser pour des activités à forte valeur ajoutée, comme la construction. Un nouvel équilibre est à trouver avec les valorisations industrielles ou énergétiques, nos interprofessions Fibois Sud y travaille mais la transition prendra plusieurs années, le temps forestier, c’est la décennie ou plus.
Les résineux ne sont-ils pas des facteurs aggravants ?
JEUNE : Les espèces végétales qui s’installent sur des territoires, la police en fonction de paramètres comme la nature des sols : granitiques, calcaires, schisteuse et j’en passe, avec plus ou moins de profondeur de terres végétales. Les microclimats locaux qui sont différents en fonction des altitudes, du rapport au littoral, de l’orientation des vallées et donc des vents. Tous ces paramètres interviennent dans la biodiversité, dans la manière dont les espèces d’arbres s’installent elle-même dans les territoires. À part la forêt landaise qui est intégralement artificielle, une très large part de nos forêts, sans être des forêts primitives, sont des forêts spontanées. Les pins à crochet, les pins d’Alep sont des essences endémiques qui sont là depuis des millénaires. Dans notre région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le couvert forestier est un couvert de feuillus avec seulement 45 % de résineux. On va trouver du chêne-liège, des hêtres, des châtaigniers et d’autres essences feuillues. La mixité des essences dans nos forêts est l’héritage de plusieurs décennies.
Quelle mission se donne Fibois Sud face à ces défis ?
JEUNE. : Nous tentons d’objectiver, de bien comprendre les phénomènes, de savoir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Ensuite de porter à connaissance du plus grand nombre. Il faut nous faut beaucoup d’humilité et beaucoup de lucidité dans la compréhension des phénomènes et essayer d’intervenir d’une manière équilibrante pour, à la fois preserver la forêt, empêcher l’éclosion de ces incendies de forêt et pour autant maintenir la diversité des activités. Oui, tout ça, sans que ça coûte des fortunes !
Liens utiles:
Avec site de la filière bois dans le Sud
[Industrie] Florent Bigo (Filière Bois Sud) : « La forêt régionale grandit »
Gomet’ L’Hebdo n°206