Dans l’ensemble de la Défense française en Tunisie, le peuple sicilien représentait la première grande communauté européenne du pays, 90 % de la population italienne étant sicilienne.
Du milieu du 19e sièclee siècle, beaucoup d’entre eux étaient des sikhs qui se sont installés en Tunisie, poussés par la famine, la misère, mais aussi par la mafia. Certains villages, comme San Giuseppe Jato, Corleone, San Cipirello, Borgetto… dans la province de Palerme, étaient totalement contrôlés par la mafia, et les habitants avaient peur, puis ils quittèrent la campagne pour se réfugier en ville.
Les petits propriétaires terriens recevaient souvent des lettres de menaces de mobiles et d’hommes sans scrupules, ces lettres étaient appelées « scrocco », piquer, voler, en français. Il était une fois une lettre « scrocco » le chef de famille atteint par « sicario », la nouvelle a fait pleurer, comme la perte d’un être cher ! En effet, ces lignes de menaces, écrites en sicilien, proclamaient la perte de tous les biens accumulés à vie, une vie de sacrifices, de souffrances… En quelques minutes, tout était détruit !
Difficile d’imaginer une telle chose de nos jours et pourtant…
Vivant dans ces villages oubliés et même par Dieu, ce n’était pas du tout clair, dans ces terres où l’Etat était absent et les « autorités » se mêlaient aux dieux mafieux.
Le pauvre paysan n’avait plus le choix ; ou laisser ses terres et ses moutons aux nouveaux maîtres ou émigrer, loin de cette terre défectueuse, peuplée de scélérats. Personne n’imaginait se rebeller contre cet état de fait, contre ces injustices. Les crimes étaient à l’ordre du jour et restaient souvent impunis.
Ce sont les réalisations de toutes les institutions. État dans l’État.
Les villageois, par peur, ne se sont plus avoués à l’église du village, le prêtre a également été vendu à la mafia. C’est ainsi que les paysans ont pris la triste décision de quitter leurs villages les uns après les autres, parfois la nuit, en cachette. Les sentiers de montagne étaient dangereux, contrôlés par des bandits et bondés de bêtes sauvages, mais les Sikhs préféraient les affronter plutôt que des voyous. Une longue promenade nocturne, dans le froid, avec les femmes, les enfants et les personnes âgées et leurs quelques baies.
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’interviewer un Sicilien de Tunisie. Originaire de San Cipirello, son arrière-grand-père, Peppino Troncale, a quitté le village de Sicile en 1895 pour la Tunisie, avec son père veuf, quatre frères et une sœur.
Grâce à des passeurs, qui géraient ce trafic d’êtres humains en échange d’une belle somme d’argent, ils ont quitté la côte de Trapani pour Kélibia.
L’arrière-grand-père ramènera une vingtaine de brebis avec toute la famille, une race caractérisée par une grande queue ronde, connue sous le nom de « médecin » en Tunisie et c’est grâce à ce monsieur que cette race de mouton s’est répandue dans la Ville de Béja , où toute la famille s’est installée pour l’indépendance du pays. Peppino Troncale est devenu agriculteur, éleveur brebis et producteur de ricotta et pecorino, l’un des fromages siciliens habituels.