L’histoire de la musique classique est faite de chimères. Et débuter au Carnegie Hall avec la chaleur du public et deux ovations debout comme celles du concert de mardi du Franz Schubert Philharmonia en est une.
Car le rêve doré de tout musicien et compositeur n’est pas à la portée de tous : avec qui pensez-vous être à égalité pour aspirer à fouler cette scène ? Il faut faire ses preuves pour que la commission artistique de la salle new-yorkaise accepte de louer l’espace à un artiste ou un orchestre inconnu. Mais cet ensemble privé catalan, composé à 90 % de fabuleux musiciens locaux, promu et dirigé par Tomàs Grau, est arrivé à Manhattan avec un CV à revendre.
Pour ce projet, la FSF a recherché le sponsor catalan qui vit aux Etats-Unis ; elle veut maintenant normaliser ce soutien et l’intégrer au budget.
En 18 ans de carrière, ses efforts pour inviter des solistes de l’envergure d’Anne-Sophie Mutter, Maria Joao Pires et Igor Pogorelich ont valu à Grau le respect du Carnegie. Ceux-ci ont également été impressionnés par ses saisons régulières au Palau de la Música Catalana et à El Vendrell, la ville natale de Pau Casals. Enfin, son excellence dans un large répertoire, documentée sur vidéo, qui oserait la refuser ?
Tomàs Grau (Barcelone, 1979) à un moment du concert, avec le premier violon invité, le fabuleux Oleh Kuroshkin.
Pourtant, le personnel de l’orchestre a qualifié Grau de fou lorsqu’il a proposé ce début il y a deux ans. J’aime avoir quelques idées folles, mais des idées folles possibles, et en ce moment elles se réalisent toutes », explique le musicien barcelonais, allongé sur le canapé dans le hall de son hôtel, à côté du Carnegie. Midori [la violinista] est venu au concert, lors de son seul jour de congé à New York, et il est venu au concert !
Mais le plus beau, souligne-t-il, c’est que la salle a accepté sa première proposition de programme, qui relie Barcelone à New York avec des œuvres écrites en exil : la sardane Sant Martí del Canigó, qui a probablement été dirigé ici par son auteur, Pau Casals, dont le portrait observe les artistes depuis un coin des coulisses ; Le Concerto d’Aranjuez de Rodrigo, qui n’avait pas été joué à Carnegie depuis 23 ans – et qui, avec Rafael Aguirre à la guitare, a attiré des touristes prêts à applaudir entre les mouvements – et, enfin, le Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, créée dans cette même salle il y a 130 ans et que la FSF a interprétée avec un jeu sincère de rythmes et de contrastes, à la hauteur des plus grands.

L’âge moyen du Franz Schubert Philharmonia – photographié ici lors de sa prestation dans la salle principale du Carnegie Hall – est de 38 ans.
À ce moment-là, le public est devenu fou de joie. « C’était la meilleure Symphonie du Nouveau Monde Je n’ai jamais entendu », a déclaré une habituée du Carnegie qui, une semaine auparavant, avait apprécié le gala d’ouverture avec Riccardo Muti et l’Orchestre symphonique de Chicago, et qui exigeait maintenant deux rappels de cet orchestre catalan dont la salle l’avait informée par le biais d’une lettre d’information. C’est ainsi qu’un Cant dels Ocells dans la version d’Enric Casals, avec le violoncelle de Bruno Hurtado et le violon du violon solo ukrainien Oleh Kuroshkin dans un pur état de grâce. Il a été suivi par le fougueux Danse slave n° 1 de Dvorak.
La FSF avait fait salle comble avec 1800 places (Carnegie avait déconseillé de mettre en vente le 3ème étage) grâce aussi à ses efforts de communication. La crème des éminences catalanes basées sur la côte Est avait été informée et invitée : il y avait le cardiologue Valentí Fuster, l’oncologue Joan Massagué, l’économiste Xavier Sala Martín, l’architecte et urbaniste Ramon Gras, l’artiste Santi Moix… que Grau veut commander pour le 20e anniversaire de la FSF. Un public catalan qui respirait la fierté, car lorsqu’il a quitté la Catalogne, il n’y avait ni cette excellence ni l’idée de construire un orchestre privé qui fonctionne à l’américaine : il ne reçoit que 245 000 euros par an de la Generalitat.
Pour ce projet, Grau est allé chercher outre-Atlantique un sponsor catalan, déductible des impôts. Il aimerait maintenant régulariser ces contributions. Il aimerait maintenant régulariser ces contributions : « Oui ? Eh bien, il faudra le faire », encourage un Gras confiant. En Amérique, tout est possible.
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