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Les Vêpres siciliennes, la rébellion qui a catapulté la puissance aragonaise en Méditerranée.

La position stratégique de la Sicile au centre de la Méditerranée et son potentiel économique en ont fait, dès l’Antiquité, un objet de convoitise pour les puissances de la région. L’île a été successivement occupée par les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Byzantins et les Arabes. Au début du 1er millénaire, ces derniers sont vaincus par des groupes d’aventuriers normands. Les nouveaux conquérants établissent sur l’île un royaume qui englobe également le sud de la péninsule italienne.

Après plus d’un siècle de domination normande, le royaume de Sicile passe par droit de succession à la maison de Hohenstaufen, dont l’héritier, Frédéric II, est également empereur romain germanique. Son long règne est marqué par un antagonisme avec le Saint-Siège, qui s’inscrit dans la confrontation complexe entre les Guelfes et les Gibelins, factions dirigées respectivement par le pape et l’empereur.

Frédéric II est un souverain puissant et les pontifes successifs, à part l’excommunier, ne peuvent pas faire grand-chose contre lui.

Sommaire

Le roi angevin

À la mort de l’empereur, en 1250, le pape voit l’occasion de couper court à sa rivalité avec les Hohenstaufen en se débarrassant d’eux et en plaçant sur le trône de Sicile un prince qui lui est favorable. Rome ayant concédé la Sicile aux envahisseurs normands au XIe siècle, le pape considère le roi de Sicile comme son vassal et peut disposer du royaume à sa guise.

Il propose la couronne de Sicile au frère du roi d’Angleterre, mais il n’y a pas d’accord sur les conditions. C’est Charles d’Anjou, frère de Louis IX de France, qui l’accepte. Son ambition débordante voit dans la Sicile une magnifique tête de pont pour son grand projet : la conquête de l’Empire byzantin. En 1266, il est couronné roi de Sicile.


Statue de Charles d’Anjou par Arnolfo di Cambio (1277).

Troisième

Cependant, le fait de détenir la couronne et d’avoir l’approbation du pape ne signifie pas que l’on possède le royaume. Néanmoins, le territoire reste entre les mains de la famille Hohenstaufen. Le fils et héritier de Frédéric II, Conrad IV, est mort de la fièvre et le trône est désormais occupé par Manfred, également fils de Frédéric, bien qu’illégitime. Charles d’Anjou doit conquérir la Sicile par la force et, pour ce faire, il se dirige vers le sud de l’Italie, armé d’une puissante armée.

Après une progression rapide, il bat les Siciliens à la bataille de Bénévent, au cours de laquelle Manfredo est tué. Peu après, la résistance sicilienne, organisée autour du petit-fils de Frédéric II, Conradino, et soutenue par des groupes de gibelins italiens, tente une dernière fois de reprendre le pouvoir. Charles les vainc, capture Conradinus et le fait décapiter. Le Français devient le maître incontesté de l’Italie du Sud et de la Sicile.

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Bien que les Siciliens soient habitués à être gouvernés par des étrangers, l’arrivée des Français les irrite particulièrement. Le roi angevin met en place un gouvernement oppressif et impose une lourde charge fiscale. Il remplit la Sicile de fonctionnaires et de soldats qui traitent le peuple et la noblesse autochtone avec mépris, portant continuellement atteinte à leur honneur.

Les principaux notables siciliens qui soutenaient les Hohenstaufen, parmi lesquels Roger de Llúria et Juan de Procida, se réfugièrent à la cour de Jacques Ier d’Aragon, faisant de Barcelone un centre politique gibelin. Ce n’est pas un hasard : les Aragonais et les Angevins étaient rivaux depuis longtemps.

Le roi Jacques Ier d'Aragon.

Le roi Jacques Ier d’Aragon.

Domaine public

De plus, quelques années auparavant, le prince Pierre, héritier du roi aragonais, avait épousé à Montpellier Constance de Hohenstaufen, fille de feu Manfredo et donc petite-fille de Frédéric II. Il est très probable que les exilés siciliens ont immédiatement commencé à conspirer avec les Aragonais pour récupérer le trône de Sicile sur la base des droits de Constance.

Contre les Français

En 1282, Charles d’Anjou se prépare à Naples à mener une croisade contre l’Empire byzantin et à prendre Constantinople. Mais un événement inattendu l’oblige à changer ses plans : le 30 mars, une grande insurrection contre les Français éclate à Palerme.

Selon la version traditionnelle, les fidèles attendaient sur une place à côté de l’église du Saint-Esprit de Palerme pour assister à l’office du soir du lundi de Pâques lorsque des Français ivres sont arrivés. L’un d’eux commença à abuser d’une jeune femme mariée et son mari, furieux, le poignarda. Les autres Français vinrent à son secours et le vengèrent, mais les Palermitains les encerclèrent et les tuèrent au moment où les cloches de l’église et de toute la ville se mettaient à sonner.

Église du Saint-Esprit à Palerme.

Église du Saint-Esprit de Palerme.

Enzian44 / CC BY 3.0

Une autre version, moins suggestive mais plus vraisemblable, veut que le soulèvement ait été planifié et que les organisateurs se soient arrangés pour que le signal de déclenchement soit la sonnerie des cloches vespérales.

Une fois la rébellion déclenchée, la colère populaire explose et donne libre cours à la haine accumulée. Les Palermitains massacrent les plus de 2 000 Français de la ville, vieillards, femmes et enfants. Dans les jours qui suivent, la révolte s’étend à toute l’île.

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La Sicile appelle Pierre

Après avoir conquis leur indépendance, les Siciliens veulent se doter d’un gouvernement républicain, en établissant des communes, ou villes libres, inspirées du modèle de l’Italie centrale et septentrionale. Mais, sans défense, ces communes ne peuvent survivre seules. Dans un premier temps, la tutelle du pape est recherchée. Mais Martin IV, d’origine française, refuse de prendre sous sa protection la Sicile qui a chassé le roi Charles.

Les Siciliens décident alors d’offrir la couronne à Pierre d’Aragon (aujourd’hui Pierre III) et à son épouse Constance. La solution est soutenue par les barons et acceptée par toutes les classes sociales. Pierre est ravi d’accepter : la possession de la Sicile représente un pas de géant dans l’expansion de la Couronne d’Aragon en Méditerranée.


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A cette époque, les Aragonais se préparent à envahir la Tunisie, mais mettent le cap sur la Sicile. Pierre et Constance sont accueillis avec enthousiasme à Palerme. Le roi aragonais envoya une ambassade à Charles d’Anjou pour lui demander de le reconnaître comme roi de Sicile. L’Angevin refuse et se retire en Italie du Sud, d’où il tentera de reconquérir l’île.

Le pape, fervent partisan de Charles, excommunie Pierre III. Non seulement il lui demande de rendre la Sicile, mais il cherche à le déposséder de son royaume d’Aragon pour le confier à Charles de Valois, second fils de Philippe III de France et petit-neveu de Charles d’Anjou. Martin IV déclare que la guerre est une croisade. Une puissante armée française envahit l’Aragon.

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Pierre III d’Aragon.

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Pierre III se trouve dans une situation difficile, car il a de graves problèmes internes avec la noblesse aragonaise. La situation est sauvée par la flotte sicilo-aragonaise commandée par l’amiral Roger de Llúria, qui bat l’escadre de couverture française au large des côtes catalanes et contraint les Français à se retirer.

Vague triomphe

La guerre des vêpres s’est poursuivie sans qu’aucun des deux camps ne prenne clairement l’avantage. Ce fut une bataille longue, coûteuse et compliquée, qui se déroula non seulement en Sicile, mais aussi dans d’autres lieux. Au cours du conflit, des changements surprenants sont intervenus dans les alliances, et la couronne aragonaise et la couronne siculo-aragonaise sont entrées en conflit.

La guerre se termine par la signature de la Paix de Caltabellotta au début du XIVe siècle, qui approuve la séparation d’un royaume insulaire (aux mains de la maison d’Aragon, mais en tant que royaume indépendant) et d’un royaume continental (désormais appelé Royaume de Naples, qui restera aux mains des Angevins).

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Près de deux décennies se sont écoulées depuis la disparition des protagonistes du conflit. En une seule année, 1285, meurent Charles d’Anjou, Pierre III d’Aragon, Philippe III de France et le pape Martin IV. Le premier meurt en échec, sans avoir pu récupérer la Sicile, avec son fils emprisonné par les Aragonais et ayant renoncé à l’entreprise de conquête de Byzance. Le second, en revanche, avait considérablement élargi sa sphère d’influence, faisant de la couronne d’Aragon l’une des grandes puissances de la Méditerranée.

Trois théories

De nombreux aspects de la révolte restent obscurs. Mais la grande question est de savoir s’il s’agit d’une insurrection populaire dont Pierre III d’Aragon a profité a posteriori ou si c’est l’inverse, si ce sont les Aragonais qui l’ont orchestrée avec l’aide des exilés siciliens pour faciliter sa conquête de l’île et son expansion en Méditerranée.

De nombreux historiens penchent pour cette seconde hypothèse, mais si elle est vraie, on ne voit pas bien pourquoi Pierre III n’a pas attendu quelques mois. Dans ce cas, Charles d’Anjou aurait été loin, avec toute sa flotte engagée dans la prise de Constantinople, et les Aragonais auraient eu la voie beaucoup plus facile.

Les Vêpres siciliennes, d'après Erulo Eroli.

Vêpres siciliennes, d’après Erulo Eroli.

Troisième

Cela conduit à une troisième hypothèse impliquant l’Empire byzantin. L’empereur Michel Paléologue était terrifié à l’idée que Charles d’Anjou puisse vouloir s’emparer de Constantinople. Selon cette théorie, l’empereur Michel, militairement faible mais diplomate habile, aurait suscité et financé la révolte sicilienne pour occuper le roi Charles.

Malgré ses conséquences, le soulèvement des Vêpres reste oublié pendant des siècles. L’épisode revient dans la mémoire historique au XIXe siècle, en plein processus d’unification de l’Italie. L’image des Siciliens comme héros du peuple italien luttant contre une puissance étrangère correspondait bien aux idéaux patriotiques du Risorgimento, le mouvement nationaliste qui émergeait dans la péninsule. Et la situation que traversait la Sicile à l’époque, aux mains des Bourbons, présentait des parallèles évidents avec la situation qui a conduit aux Vêpres.

La révolte a donc pris le caractère d’une légende, à laquelle ont contribué de nombreuses œuvres littéraires écrites à l’époque.

Ce texte fait partie d’un article publié dans le numéro 471 de la revue Histoire et vieVous avez une contribution à apporter ? Écrivez-nous à redaccionhyv@historiayvida.com.

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