Juan Manuel de Hoz, porte-parole du Centro de Descendientes de Españoles Unidos (CeDEU), a désormais sa carte d’identité espagnole. Il l’a récupérée cette semaine au commissariat central de la police nationale à Oviedo. « C’est un moment très agréable, mais en même temps étrange », a-t-elle déclaré à eldiario.es depuis Llanes, l’une des étapes de son voyage d’été en Espagne. Un voyage qu’il répète chaque année et qui l’emmène en août en Galice, dans les Asturies, en Cantabrie et au Pays basque.
Petit-fils d’émigrants argentins, M. De Hoz se bat depuis plus de 12 ans pour obtenir la nationalité espagnole. Outre toutes les procédures administratives et les papiers nécessaires pour devenir un citoyen à part entière en Espagne, le DNI est pour lui « le document de tous les jours que vous pouvez emporter partout dans votre portefeuille » et qui prouve que vous êtes espagnol.
« J’ai des sentiments positifs mais très mitigés, avec beaucoup de bagages émotionnels », dit-il. Lorsqu’il a entamé sa croisade pour obtenir la modification de la loi espagnole qui lui permettrait de devenir citoyen, il l’a fait pour ses grands-parents et aussi pour ses parents, qu’il a perdus au cours des quatre dernières années. C’est pourquoi ce moment est pour lui comme « un hommage » à ses ancêtres, « c’est une question d’identité très forte pour ceux d’entre nous qui vivent de l’autre côté de l’étang ».
Sommaire
L’amour du terroir.
Manuel de Hoz Calzada et Joaquina Calzada Miñor s’embarquent pour l’Argentine en 1921. La situation de pauvreté dans laquelle ils vivaient à Castro Urdiales les a poussés à quitter l’Espagne. Ils y retournent deux ans plus tard, mais ne peuvent y rester car la situation politique, avec le coup d’État de Primo de Rivera, s’est aggravée. Ils ont donc retraversé l’Atlantique et se sont installés définitivement à Buenos Aires, où ils ont élevé leur famille en travaillant dans l’agriculture et le commerce.
Dans ces mêmes années, José Usubiaga et María Antonia Gracia, d’origine navarraise et catalane, quittent l’Espagne. Ils s’installent dans le quartier de Palermo où ils construisent une nouvelle vie avec leur salon de coiffure et leur vinaigrerie.
Il s’agit des grands-parents paternels et maternels de Juan Manuel. Il n’a jamais rencontré ses grands-parents paternels, mais son père lui a transmis tout ce qu’ils lui avaient dit sur la Cantabrie. Ces derniers lui ont inculqué l’amour de l’Espagne dès son plus jeune âge. « Nous savons qu’il est difficile de comprendre cette Espagne étrangère qui s’est créée hors des frontières, avec les envois d’argent, l’ouverture de clubs, de centres asturiens où beaucoup se sont rencontrés ».
M. De Hoz, qui s’estime chanceux d’avoir pu beaucoup profiter de ses parents, décédés à l’âge de 90 et 96 ans, se souvient avec émotion des « hornazos que sa grand-mère préparait tous les dimanches » lorsqu’il allait manger avec ses parents et ses frères et sœurs, et des « pommes de terre à la morue, qu’il fallait dessaler pendant deux jours, pour la semaine de Pâques, parce qu’à l’époque, il n’y avait pas de viande, mais toujours du poisson (il rit) ».
Et aussi comment ils lui ont parlé de leur culture, de leur affection, et du goût qu’ils lui ont donné d’aller dans les centres espagnols où il a appris des danses dans les « xuntanzas » qu’ils appréciaient en communauté, autour de grandes tables où ils goûtaient aussi l’empanada galicienne. « Je n’ai pas d’ancêtres galiciens, mais l’empanada ressort très bien », dit-il.
Avec le temps, ce qui surprend le plus ce petit-fils d’émigrés, c’est cet amour pour l’Espagne, pour un pays qu’ils ont quitté à cause de la pauvreté, à la recherche d’une vie meilleure. « Je me souviens des commentaires selon lesquels ils venaient de terres où ils creusaient pour cultiver, mais où il était très difficile de sortir quelque chose. Surtout, ceux qui venaient de la région de Navarre, dans des conditions très hostiles », dit-il en s’interrogeant : « Et cet amour pour un endroit qui les avait expulsés ?
Ils ont toujours été fiers de leurs origines et ont souhaité y retourner. Mais Juan Manuel parle de « ce croisement de sensations que l’on a avec l’exil que génère l’émigration ». « Il est évident que l’on va manquer », dit-il, « mais on a déjà emmené avec soi les êtres qui nous sont chers et si le sentiment d’être parti nous fait aimer notre patrie, le fait de revenir et de voir que tout a changé n’a pas eu raison d’eux ».
La recherche d’un changement normatif
Du mariage de Manuel et Joaquina naît Miguel Ángel de Hoz, et du mariage de José et Maria Antonia naît Claudia Inés Usubiaga, les parents de Juan Manuel. Tous deux étaient des descendants d’immigrés, elle psychologue, lui recteur. Lorsqu’elle est venue faire un stage, « ils sont tombés profondément amoureux et ne se sont plus jamais quittés », raconte son fils.
En tant que descendants directs d’Espagnols, ils ont obtenu la nationalité par le biais de la loi de 2007 sur la mémoire historique, alors que Juan Manuel était déjà majeur et qu’il ne pouvait donc pas y accéder. « La nationalité n’était accordée que si vous étiez sous l’autorité parentale d’un Espagnol, et comme il avait plus de 18 ans, il n’entrait pas dans ce cadre », explique-t-il.
C’est cette situation qui l’a amené à contacter des personnes dans la même situation. Il y a eu des cas où, en raison de l’âge, un frère a obtenu la nationalité mais pas l’autre. « Nous avons commencé à grandir petit à petit, à travers des blogs, en racontant des histoires personnelles sur ce qui s’était passé au consulat. Grâce à Facebook et à d’autres réseaux, nous avons commencé à organiser et à demander des entretiens avec des hommes politiques espagnols en visite en Argentine, au Mexique, en Uruguay, au Chili… », et c’est ainsi qu’est né le CeDEU.
Après de nombreuses conversations et une forte pression médiatique, ils parviennent à obtenir la présentation d’un projet de loi incluant de nouvelles hypothèses pour l’octroi de la nationalité aux descendants d’émigrants. Le Parti populaire, alors au gouvernement, n’a accepté que la question séfarade. Mais la législature est tombée en 2019 et des élections anticipées ont été convoquées en Espagne. Un an plus tard, le nouveau gouvernement de coalition met en route le traitement de la loi de mémoire démocratique, qui est approuvée fin 2022.
Cette loi ouvre une période de deux ans, d’octobre dernier à octobre 2024 (avec une extension possible à 2025), pour demander la nationalité à tous ceux qui sont nés hors d’Espagne « d’un père ou d’une mère, d’un grand-père ou d’une grand-mère, qui étaient espagnols à l’origine, et qui, du fait d’avoir subi l’exil pour des raisons politiques, idéologiques ou religieuses ou pour des raisons d’orientation sexuelle et d’identité, ont perdu la nationalité espagnole ou y ont renoncé ». En outre, « les fils et filles majeurs des Espagnols dont la nationalité d’origine a été reconnue en vertu du droit d’option conformément aux dispositions de la précédente loi sur la mémoire démocratique » pourront également entamer le processus.
Pour Juan Manuel de Hoz, il s’agit d’une loi qui « ne laisse rien au hasard et met l’Espagne sur un pied d’égalité avec des pays comme le Portugal ou l’Italie, qui ont également connu l’émigration ». Il est très reconnaissant au gouvernement espagnol actuel « qui a pris les devants et a décidé de mettre fin à ces asymétries qui existaient au sein des mêmes familles ».
Nombreux sont ceux qui les ont soutenus tout au long de leur parcours, mais M. De Hoz tient à remercier tout particulièrement le secrétaire d’État à la mémoire démocratique, Fernando Martínez, Pilar Cancela, secrétaire à la coopération internationale, et « de nombreux autres fonctionnaires qui ont fait de ce projet une réalité ».
500 000 nouveaux Espagnols
Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, Buenos Aires compte environ 145 000 demandes en cours. Selon le porte-parole du CeDEU, les chiffres sont similaires à Cuba, où quelque 110 000 descendants d’Espagnols demandent la nationalité. En Uruguay et au Venezuela, les chiffres sont moins élevés : environ 50 000 pour le premier et 80 000 pour le second. « En résumé, nous pensons qu’entre 400 000 et 500 000 nouveaux Espagnols bénéficieraient de cette période de deux ans », déclare-t-il.
La grande majorité d’entre nous qui vivons à l’étranger sont des personnes diplômées de l’université, qui ont un emploi fixe, et si la personne ressent le besoin d’émigrer, avec tout ce que cela implique, en laissant derrière elle sa famille et son travail, ce serait une contribution positive.
« L’Espagne compte actuellement 2 100 000 000 de résidents à l’étranger, des chiffres qui, grâce à la législation mise en place au cours des 30 dernières années, n’ont pas eu d’effet d’entraînement », assure M. De Hoz, « nous n’avons jamais assisté à un processus de migration inverse ». En effet, avec la précédente loi de mémoire historique, 300 000 personnes ont été naturalisées et « selon les données de l’Institut national des statistiques, 20 % ont émigré », affirme-t-il.
« La grande majorité d’entre nous qui vivons à l’étranger sont des personnes diplômées de l’université, avec des emplois bien établis », dit-il, « et si les gens ressentent le besoin d’émigrer, avec tout ce que cela implique, quitter leur famille et leur travail, ils apporteraient une contribution positive à une Espagne qui se développe et qui, à l’avenir, pourrait avoir besoin de personnes formées et éduquées », commente-t-il. M. de Hoz rappelle que la population de notre pays vieillit et que les prévisions font état d’un déséquilibre entre « les cotisants et les retraités ».
Il ne nie à aucun moment que le fait d’avoir la nationalité espagnole « facilite » les voyages, les déplacements et l’entraînement, ce dont il se dit « profondément reconnaissant, et aussi parce que c’est très sentimental de pouvoir se sentir citoyens espagnols ».
Juan Manuel assure que, depuis le mois d’octobre, certains consulats appliquent la législation « de manière extrêmement satisfaisante ». Il mentionne tout particulièrement le travail du consul général de Buenos Aires, Fernando García Casas, et de son adjoint, Juan Merino, du consulat de Buenos Aires, « qui possèdent de grandes connaissances en matière de nationalité », affirme-t-il. Il souligne également le travail des consulats de Montevideo et de Mexico, « bien que nous ayons encore quelques consulats qui, selon nous, pourraient être améliorés en ce qui concerne le respect de l’instruction par certains consuls ».

Le désir d’une circonscription propre
Le voyage commencé il y a 13 ans a porté ses fruits. Juan Manuel de Hoz est désormais citoyen espagnol et porte déjà dans son portefeuille le DNI qui l’accrédite. Mais il estime qu’il reste encore des étapes à franchir. L’une des aspirations des descendants d’émigrés espagnols est d’éviter les délais et que l’accès à la nationalité ne soit pas limité dans le temps. Ils ont également d’autres objectifs.
L’élimination du « voto rogado » (une forme de vote par demande) facilite la participation des Espagnols vivant à l’étranger aux processus électoraux du pays avec davantage de facilités bureaucratiques et, selon De Hoz, « un nouveau phénomène commencera à émerger, celui du poids du vote étranger, qui sera plus important ». Il ne faut pas oublier que le décompte de ce vote à Madrid a modifié l’arithmétique de l’investiture du prochain président du gouvernement.
« Il y a une très belle idée qui a été lancée il y a quelques mois depuis la Principauté des Asturies par son président Adrián Barbón, la création d’une circonscription étrangère », rappelle Juan Miguel. Une idée qui, selon lui, sera nécessaire « à terme ». « Il existe le Conseil des Espagnols résidant à l’étranger », dit-il, « mais nous devrons avoir au moins un groupe de députés et de sénateurs qui puissent exprimer aux Cortes les questions et les problèmes que se posent les Espagnols à l’étranger. L’Italie, la France et le Portugal en sont déjà dotés », affirme-t-il avec conviction.
Cette nouvelle circonscription permettrait, selon M. De Hoz, d’éviter une attente de 12 ans pour obtenir « cette belle loi », car elle serait plus résolue au niveau politique, « ce ne sera pas un simple organe consultatif ».
Pour l’instant, cet Argentin de 37 ans, dont le sang a été contaminé par l’amour de notre pays, qui est désormais aussi le sien, est satisfait de la nouvelle loi et espère que la menace d’abrogation brandie par les partis de droite lors de la dernière campagne électorale ne sera pas mise à exécution. Il n’oublie pas que lorsque ses pétitions sont parvenues au gouvernement populaire, elles sont tombées dans l’oreille d’un sourd qui a refusé d’en tenir compte.
« Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous espérons que des progrès continueront à être réalisés à l’avenir sur cette même instruction et que, lorsque ces trois années de processus seront terminées, une nouvelle réforme du Code civil pourra être introduite », répète-t-il, « c’est positif pour les deux côtés de l’étang ».