En 1468, le roi Christian Ier de Danemark et de Norvège, appauvri, organise le mariage de sa fille Margaret avec Jacques III d’Écosse. Mais le futur époux, soucieux de son argent et connaissant la situation précaire de son beau-père, ne lui fait pas confiance pour payer la dot négociée de cinquante mille florins, et demande en garantie les îles Orcades, situées dans l’Atlantique Nord, entre les deux pays. Un an plus tard, la somme n’ayant pas été versée, les îles Shetland sont ajoutées à la caution, pour une valeur supplémentaire de huit mille florins. En 1472, les deux archipels sont placés sous l’autorité d’Édimbourg.
Aujourd’hui, cinq cent cinquante ans plus tard, les Orcades envisagent de revenir en arrière et de demander leur réincorporation à la Norvège en tant que territoire autonome. Tout d’abord, le pays scandinave ne souffre plus des problèmes économiques du XVe siècle, lorsqu’il avait les yeux rivés sur l’Orient et que ses caisses étaient vides, mais il s’est enrichi grâce au pétrole, au point de disposer d’un fonds souverain qui fait l’envie du monde entier. Alors que la Grande-Bretagne s’appauvrit, que rien ne fonctionne et que les insulaires se sentent exclus, ils ont l’impression de donner bien plus qu’ils ne reçoivent.
Riches en pétrole, en agriculture et en énergies renouvelables, ils estiment que ni Édimbourg ni Londres ne les prennent en compte comme ils le devraient.
Les 22 000 Orcadiens, répartis sur les 70 îles qui composent l’archipel, ont une forte identité propre, avec des liens culturels, géographiques et historiques forts avec la Norvège, différents des Britanniques et des Écossais, même s’ils ne les renient pas. Lors du référendum de 2014, ils ont voté par 67 % contre 33 % non à l’indépendance de l’Écosse (et lors du référendum sur le Brexit non à la sortie de l’Union européenne). « Beaucoup pensaient qu’il n’y avait rien à gagner à passer du contrôle de Londres à celui d’Édimbourg, d’une bureaucratie à l’autre, les mêmes chiens avec des colliers différents, et qu’il valait mieux rester comme nous étions », explique Magnus, un nom commun, celui du saint et martyr dont la cathédrale de Kirkwall porte le nom.
Dans les deux archipels au nord de l’Ecosse, les Orcades et les Shetland, il est difficile de voir un Union Jack, le drapeau du Royaume-Uni.
Mais le déclin du Royaume-Uni ne permet plus de faire comme si de rien n’était, et les Orcades se sentent suffisamment fortes économiquement (elles ont des gisements de pétrole en mer du Nord et des sources d’énergie renouvelables) pour devenir un territoire autonome sous la souveraineté d’Oslo, ou bien une dépendance de la couronne, à l’instar des îles de Man et de Guernesey. Les gouvernements britannique et écossais nous ont abandonnés en termes de financement », affirme James Stockan, chef de l’autorité administrative des Orcades, l’une des trente-deux que compte l’Écosse. Au cours des quarante dernières années, notre pétrole a beaucoup contribué à la prospérité du pays, mais en retour, nous avons reçu moins que les Shetland ou les Hébrides. Outre l’énergie, l’économie de l’archipel est centrée sur l’agriculture, la pêche, le tourisme (des bateaux de croisière avec des touristes nordiques viennent voir les ruines néolithiques) et l’élevage. Le nom original en gaélique était « les îles aux cochons », mais en vieux norrois, il est devenu « les îles aux phoques ». Aujourd’hui, des milliers de vaches et de moutons peuplent les vertes prairies.
Les Orcades ne sont pas près de quitter le Royaume-Uni, un processus extrêmement complexe qui nécessiterait des pétitions, des référendums et de longues négociations avec les parlements de Holyrood et de Westminster afin d’obtenir une charte de liberté pour rejoindre la Norvège, l’Islande (une autre option envisagée) ou devenir une dépendance d’outre-mer dotée d’une grande autonomie. En mettant sur la table les différentes possibilités, l’administration locale a attiré l’attention de Londres ou d’Édimbourg, avec le message suivant : « Soit vous nous écoutez davantage, soit nous sommes prêts à partir ».
Les Orcades appartiennent à l’Écosse mais constituent un monde à part, non seulement sur le plan géographique mais aussi sur le plan politique. Ils disposent d’un siège au Parlement de Westminster, dans la même circonscription que les Shetland, occupé depuis plus de vingt ans par le libéral-démocrate Alistair Carmichael (les libéraux ont toujours gouverné l’archipel). Ce n’est pas un territoire SNP, à tel point que si l’Écosse s’était séparée du Royaume-Uni en 2014, les Orcadiens envisageaient de divorcer d’Édimbourg.
Avec un faible taux de chômage et un bon niveau de vie, les Orcades sont prospères mais isolées et les communications sont problématiques. Ils ont été gagnés par l’Écosse lorsque Christian Ier n’a pas pu payer la dot de sa fille Margaret. Aujourd’hui, beaucoup plus riches, ils frappent à la porte de la Norvège. Frappez, frappez…