Le biologiste marin, plongeur et photographe Manu San Félix, basé à Formentera (îles Baléares), est à l’origine d’une campagne de collecte de signatures. Reserva30 pour obliger les administrations à protéger 30% de la mer Méditerranée dans son intégralité d’ici 2030conformément au mandat des Nations unies pour l’ensemble de la planète. Cette partie du globe est, avec l’Arctique, celle qui se réchauffe le plus rapidement en raison du changement climatique, causant de graves dommages à la biodiversité marine. San Felix nous exhorte donc à passer des paroles aux actes.
Qu’est-ce qui a conduit au lancement de la campagne de la Réserve méditerranéenne 30, peut-être le manque d’ambition des institutions publiques ?
-Je suis venu à Formentera à l’âge de 26 ans, j’étais alors un jeune biologiste marin, un doctorant, et je rêvais de voir la Méditerranée que le grand Jacques-Yves Cousteau avait découverte pour ma génération, avec d’énormes mérous, des phoques moines, des fonds marins spectaculaires pleins de corail rouge et pleins d’araignées de mer et de langoustes… J’étais convaincu qu’en quelques années nous allions récupérer tout ce que nous avions détruit parce que nous l’avions détruit. J’étais convaincu que dans quelques années, nous allions récupérer tout ce que nous avions détruit parce que nous allions bien le protéger. Plus de 30 ans ont passé, je regarde en arrière et je vois trois décennies de lutte pour la conservation de la Méditerranée avec beaucoup de discussions, de réunions, de création d’aires marines protégées, de communiqués de presse, etc.
« Si nous regardons ce qui arrive aujourd’hui sur un marché aux poissons et ce qui arrivait il y a 50 ans, nous verrons clairement que nous sommes face à une mer dont les ressources s’épuisent ».
Or, non seulement nous n’avons pas progressé dans la récupération de la Méditerranée, mais la situation ne cesse de s’aggraver. Les gros poissons ont pratiquement disparu et de plus en plus d’espèces se trouvent dans une situation critique. Lorsque je me jette à l’eau, je constate que la qualité de l’eau diminue. Si nous regardons ce qui arrive aujourd’hui sur un marché aux poissons et ce qui arrivait il y a 50 ans, nous verrons clairement que nous sommes face à une mer qui manque d’eau. Cette campagne est née dès que j’ai eu l’idée d’essayer d’atteindre les gens pour leur faire prendre conscience de la gravité de la situation de la Méditerranée et de l’urgence d’agir, en unissant la société par la signature de la « Déclaration pour la Méditerranée » pour y parvenir. Nous devons avoir une plus grande ambition pour la protéger afin qu’elle redevienne la mer qu’elle était jusqu’aux années 1960.
Quelle est la procédure et le calendrier de cette campagne, c’est-à-dire combien de signatures visez-vous à recueillir et qu’en fera-t-on ?
Nous visons à recueillir au moins un demi-million de signatures, même si j’ai l’ambition d’en recueillir davantage, tout en étant conscient de la difficulté de la tâche. Je pense qu’il s’agit d’un projet impossible, mais je sais que l’on peut réaliser des choses impossibles dans cette vie. Le calendrier est le nom même de la campagne : Réserve 30, c’est-à-dire atteindre 30 % de protection en 2030. Mais j’aimerais que nous réussissions et que nous obtenions les signatures d’ici un an. Mais nous sommes prêts à ce que ce soit un travail long et difficile. Une fois que nous aurons les signatures, accompagnées par National Geographic, l’idée est de les apporter au gouvernement pour inspirer l’ambition de récupérer la Méditerranée, en légiférant pour y parvenir.
L’objectif de préserver 30 % des océans de la planète d’ici 2030, tel qu’il a été convenu par l’ONU et d’autres organismes mondiaux, vous semble-t-il réalisable ?
-Je le considère comme réalisable et c’est pourquoi je crois en la campagne que je promeus et que je combine également avec mon travail dans le projet Pristine Seas qui lutte pour sauvegarder les endroits reculés des océans et pour protéger 30 % de la planète d’ici 2030. C’est le défi que 196 pays ont signé lors de la conférence de l’ONU sur la biodiversité qui s’est tenue à Montréal à la fin de l’année. Le fait qu’il y ait un tel soutien international me fait penser que c’est réalisable, mais il y a beaucoup de travail à faire.
Les pêcheurs s’opposent parfois aux mesures de protection de l’environnement marin. Dans quelle mesure sont-ils eux-mêmes bénéficiaires de ces mesures de protection ?
-La récupération des pêcheries locales (et j’insiste sur le terme « locales ») est un objectif fondamental de cette campagne. Pour continuer à pêcher, il est nécessaire de réserver des zones : de nombreux exemples montrent qu’il s’agit d’une bonne affaire pour la pêche. Il existe déjà de nombreux exemples de réussite, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Méditerranée, et c’est pourquoi de plus en plus de pêcheurs dans le monde soutiennent les initiatives de protection, car ils savent qu’il est avantageux pour eux d’avoir plus de prises.
« Pour continuer à pêcher, il est nécessaire de réserver des zones : de nombreux exemples montrent que c’est une bonne affaire pour la pêche ».
En Méditerranée, seul 0,23% est fermé à la pêche, ce qui n’est pas logique. L’idée est de faire en mer ce qu’un agriculteur fait sur terre : il ne tue pas tout le bétail, mais réserve les plus gros, les reproducteurs, car ce sont les plus productifs, et vend le reste. Avec l’avantage qu’en mer, vous n’avez pas à nourrir, ni à construire des étables, ni même à acheter votre troupeau, vous réservez simplement des zones. La mer est très productive et reconnaissante. Cette mentalité de semer et d’attendre la récolte, que l’homme a eue sur terre pendant des milliers d’années, il faut l’amener aujourd’hui en Méditerranée si nous ne voulons pas la perdre.
-Si les nouvelles aires marines protégées que vous appelez de vos vœux doivent réussir, elles devront être gérées de manière à éviter de nouvelles pertes de biodiversité. parcs en papierCela signifie du personnel et de l’argent. Pensez-vous que les administrations feront cet effort, sachant que la surface à protéger doit augmenter considérablement ?
-C’est tout le contraire. La création d’une zone marine protégée ne signifie pas plus de dépenses, mais plus de revenus. Beaucoup plus. Si la décision revenait à un ministre des finances, il est certain que nous atteindrions très vite les 30 %. Un exemple : la plus grande aire marine protégée de la planète, et donc celle dont les coûts de gestion et de surveillance sont les plus élevés, se trouve à Hawaï et s’appelle Papahanaumokuakea. Cinq ans après sa création, la pêche au thon dans cette zone a augmenté de 54 %. Cela signifie qu’en termes d’argent, nous parlons d’une augmentation des revenus de centaines de millions. Peu d’entreprises affichent une telle rentabilité en si peu de temps.
« La Méditerranée est comme un compte courant qui s’épuise parce que nous avons trop retiré pendant trop longtemps ».
La pêche se trouve aujourd’hui dans une situation critique, très délicate, qui n’est viable que grâce aux subventions et aux aides dont bénéficie le secteur. La situation est très préoccupante. Pour pêcher, il faut aller de plus en plus loin et utiliser de plus en plus de kilomètres d’engins de pêche. Dans les années 1940 et 1950, la pêche se faisait à partir des mêmes plages et à la rame. La Méditerranée est comme un compte qui s’épuise parce qu’on a trop pêché pendant trop longtemps.
Est-il encore temps d’éviter l’effondrement total de ce bassin ? Quelles sont les marges de manœuvre actuelles ?
-Oui, il y en a. Nous sommes confrontés à un énorme défi, qui est inquiétant et effrayant. Nous connaissons le problème, mais il est plus difficile d’en interpréter les conséquences. Pour éviter cet effondrement, la première chose à faire est de protéger, car plus la Méditerranée sera en bonne santé, mieux elle résistera à la crise thermique à laquelle elle est déjà confrontée. Comme tout organisme ou écosystème, plus il est sain, mieux il résistera à l’adversité. Je suis optimiste et je crois qu’il faut éviter un ton apocalyptique, car je crois vraiment que nous sommes dans le temps. Mais il n’y a plus de marge, le temps d’agir et de changer, c’est aujourd’hui, c’est maintenant. Nous devons faire aujourd’hui ce que ceux qui sont aujourd’hui des enfants et des jeunes voudront que nous ayons fait dans 30 ans. Si nous le faisons bien, nous pouvons ramener la Méditerranée, si nous n’agissons pas…. J’ai le sentiment que nous sommes peut-être face à notre dernière chance.
-Un autre des problèmes dont elle souffre est le déversement de plastiques. Il semble que les administrations fassent peu de progrès dans ce domaine…. Quelle est votre impression à ce sujet ?
-En ce qui concerne les plastiques, c’est un problème terrible, mais il sera résolu plus rapidement. De plus en plus, des substituts non nocifs seront disponibles sans le problème de la persistance dans l’environnement naturel. Je pense que l' »ère du plastique » sera de courte durée. À l’heure où nous parlons dans cet entretien, de nombreux génies sont à l’œuvre pour inventer ces nouveaux matériaux. En attendant, il faut réduire leur utilisation au strict nécessaire et surtout les recycler. Nous ne le faisons pas comme nous le devrions parce que nous sommes paresseux et très peu intelligents. C’est pourquoi chacun d’entre nous doit s’efforcer d’acheter et de consommer le moins de plastique possible et de recycler tout le plastique qu’il utilise.
Que pensez-vous de la menace croissante que représentent les navires de croisière, de plus en plus mis en cause pour les multiples impacts environnementaux qu’ils génèrent ?
-Mon opinion sur les bateaux de croisière et le tourisme est que nous sommes lents à fixer des limites. Ne pas le faire est le symptôme d’une société avide qui n’est jamais satisfaite et qui en veut toujours plus. Non seulement il y a de plus en plus de bateaux de croisière, il y a de plus en plus de trafic dans les aéroports, de plus en plus de bateaux qui arrivent par la mer, mais nous n’arrêtons pas de construire…. Il est temps de s’arrêter et de réfléchir à la direction que nous prenons, sans limites, l’avenir n’est pas du tout prometteur, ni en Méditerranée, ni sur la planète.
Web à signer en faveur de la campagne : https://reserva30.org/
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Contact pour la section environnement : crisisclimatica@prensaiberica.es