Piétonnisation, logement, transport… Alors que la ville de Marseille a basculé à gauche depuis maintenant deux ans, soit le tiers de son mandat, le maire de la ville Benoît Payan a accordé un long entretien à 20 Minutes Marseilleet balayé les chantiers qui s’offrent à lui.
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Ce vendredi marque le retour de la piétonnisation du Vieux-Port pour l’été. Allez-vous la pérenniser ?
Sur 1.200 km² de voirie, on doit avoir peut-être 900 mètres piétonnisés. Si vous faites le ratio, vous vous apercevez qu’on est bonnet d’âne des grandes villes d’Europe. Je suis né ici, et n’avais jamais pu marcher sur le Vieux-Port comme je l’ai fait depuis deux ans. Jamais. Je ne suis pas le seul. Il y avait beaucoup de réticences, au début. Les riverains, les commerçants se demandaient comment ils allaient faire. Évidemment, il y en a encore et on en trouvera toujours, mais de moins en moins. J’ai des restaurateurs du Vieux-Port qui me disaient : « Ce n’est pas bien. » Cette année, ils sont venus me voir pour me dire : « J’espère que vous allez faire la piétonnisation. »Ça, c’est le sens de l’histoire.
Et donc, au fur et à mesure, ce qui est éphémère, temporaire, va se pérenniser. Cela va prendre du temps, mais, je souhaite que d’ici la fin du mandat, on ait très largement augmenté la piétonnisation pérenne à certains endroits de la ville. C’est comme ça que tu appelles ou telle rue, telle ou telle place ? On verra, mais ça ne s’arrêtera plus. Car c’est ainsi. Nous sommes déjà dans une révolution. On était dans une ville du tout voiture, du tout moto, du grand n’importe quoi. C’est petit à petit qu’on fait des conquêtes. Moi, je ne suis pas pour rendre les choses violentes. Il faut que progressivement, les choses deviennent acceptables et soient partagées. C’est une conquête sur le temps qui est passé.
Comment choisissez-vous de pouvoir trier Marseille du tout voiture, justement ?
Il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Par contre, j’ai demandé à la présidente de la métropole et au président de la République de considérer que Marseille est une grande ville française qui ne peut plus se satisfaire d’avoir deux lignes de métro incapablees en 1978. Fort de ce constat, je suis allé rencontrer le Président. Je lui ai dit : « Qu’est-ce qu’on fait ? »On a fait un plan sur les écoles. Et il a décidé de mettre sur la table un milliard d’euros avec une condition : le désenclavement des quartiers Nord.
Il n’y aura pas d’aides de l’État si la présidente du département ne comprend pas ce choix évident, dite sur tous les tons par le chef de l’État et par moi-même : il faut désenclaver les quartiers Nord. Je peux regarder un tramway qui est partout dans les quartiers Nord. C’est la priorité des priorités. Cela plutôt que de brûler des millions d’euros, d’un argent qui n’appartient ni à la présidente, ni à moi, mais aux Marseillaises et aux Marseillais, dans un tramway dont personne ne veut entendre parler…
Celui des Catalans ?
(Il poursuit) Ni le maire du 1-7, ni le maire du 6-8, ni le maire du 2-3, ni moi-même, ni les habitants, ni les commerçants, ni les CIQ [comités d’intérêt de quartier], qui ne sont pas des militants proactifs du Printemps Marseillais. Personne ne veut de ça. Ça n’a aucun sens d’aller faire une tranchée, ouvrir, massacrer la ville. La chute du coupé est omniprésente sur le parcours Pierre-Puget. Il va falloir défoncer l’avenue de la Corse. Ça ne sert à rien. Les travaux seront effectués pendant les travaux de la marina olympique, pendant ceux de la Corniche, pendant les Jeux olympiques. C’est la chose la plus bête, la plus absurde que j’ai entendue. Le Président ne veut pas donner l’argent pour ça. Ça n’a aucun sens.
Sur une métropole qui reposait des chars dans un projet de Jean-Claude Gaudin en 2001. Alors qu’est-ce qu’il faut faire ? Ce serait une erreur que le système en bois soit responsable.
Si Martine Vassal a décidé de ne pas faire un tramway vers le nord, il va falloir le faire à sa place. Ce serait une erreur pour le département bois d’en prendre la responsabilité.
Il va falloir empêcher la métropole si elle décide de passer en force. Moi, je l’empêcherais. J’utiliserais tous mes pouvoirs de police. Il n’y aura pas de tramway aux Catalans tant que le tramway vers le nord ne sera pas lancé. C’est un point souhaité que je ne dérogerai pas.
En parlant de l’État, on est aujourd’hui dans une période d’instabilité parlementaire, avec un nouveau gouvernement. Il y a donc une nouvelle donne politique. Quelles sont vos attentes dans ce contexte concernant le plan « Marseille en grand » ?
J’attends que le gouvernement étranger sa parole. La continuité de l’État, c’est une chose à laquelle je tiens particulièrement. Le président de la République s’est engagé. Le parlement précédent s’est engagé. Les pouvoirs n’ont pas été votés et ils ont été inscrits sur les finances des finances. Madame Borne, je ne connais pas. Je ne connais pas le son de sa voix si ce n’est par la télé ou par mon téléphone portable. On ne s’est jamais rencontré. Bon… On verra ce que ça donne. Je souhaite qu’on puisse avoir des relations de travail et des relations cordiales.
Pour l’instant, je la trouve concentrée sur une nouvelle difficulté quand on fait de la politique : c’est celle d’avoir un parlement fort. Moi, je me félicite que le parlement soit un parlement où les députés servent à quelque chose et donnent du sens à ce qu’ils font. Ce sera à elle de réfléchir, de négocier et de faire avancer les choses.
Évidemment, si elle devait affaiblir « Marseille en grand », elle me trouverait au milieu de sa route, face à elle.
Le bûcheron marseillais déviant très cher ces dernières années. Or, le logement avait été décrété grande cause municipale par le Printemps Marseillais. Comment enrayer la machine ?
La pression foncière est terrible, et je ne veux pas que cette ville devienne impossible pour les petites Marseillaises et les petits Marseillais qui ont vingt ans, des fois plus, et qui veulent s’installer, acheter ou louer. Et je ne veux pas que des gens qui viennent s’installer à Marseille se disent que c’est plus cher qu’ailleurs et que c’est trop compliqué pour eux. C’est une ville qui a été attractive parce qu’elle est restée particulièrement intéressante, populaire, solidaire. En réalité, c’était évident qu’une ville aussi belle, en bord de Méditerranée, n’allait pas rester longtemps en dehors des radars. C’est pour ça qu’il y a cinq millions de touristes chaque année. Et c’est pour ça que la pression foncière continue.
Que faire contre ça ? Je veux éviter le plus possible la spéculation. J’ai fait le choix de mettre un coup de barre sur les multipropriétaires qui font du Airbnb. J’ai des rues entières au Panier où des marchands de bien sont venus acheter des immeubles dans lesquels il n’y a plus d’habitant, plus de vie de quartier. Le prix a explosé. Donc je tape fort, et je vais continuer, sur celles et ceux qui font du Airbnb. J’ai des ressources.
Je suis par exemple pour réquisitionner les biens des fraudeurs du fisc. Des gens qui font croire qu’ils louent des appartements à des étudiants alors qu’ils font du Airbnb, qui ne paient ni taxe ni d’impôt, et qui privent les gens qui en ont besoin d’un logement, je suis pour réquisitionner leurs biens. Ensuite, il faut faire de la conquête foncière. Et c’est très difficile. Sur un signé le plus grand plan de rénovation urbaine de l’histoire. Jamais, l’ANRU n’avait mis près d’un milliard d’euros sur la table. C’est un changement énorme qui d’ici quatre ans va se voir.
Dans votre programme, vous promettiez la construction de 30.000 logements…
On va probablement en rénover. On s’est heurté à un mur terrible. J’ai un PLUi [plan local d’urbanisme intercommunal] qui me permet de construire 3.000 logements par an. Au-delà, c’est interdit. J’ai demandé un changeur. On m’a dit non. Partant de là, vous voulez que je fasse quoi ? Vous comprenez désormais pourquoi j’ai voulu faire « Marseille en grand » et changer la gouvernance de la métropole.
Vous arrivez au tiers de votre mandat, et les choses…
(Il coupe) Ça ne va jamais assez vite.
Mais faudra-t-il finalement un mandat supplémentaire pour tenir vos promesses électorales ?
Moi, je m’occupe du mandat qui existe. Mon métier, c’est de faire avancer les choses. Ce n’est pas de me dire : « Est-ce que je vais faire un deuxième, un troisième, un quatrième mandat ? » Qu’est-ce qu’il va se passer électoralement en 2026 ou 2027 ? Je m’en fous. Il faut travailler, dans la vie. Et puis, si les Marseillais jugent que ça a été bon, eh bien, on continue.