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Le désir de l’escargot, de Clara Sanchis Mira

Sans craindre rien ni personne, un escargot fait irruption sur la table du jardin en plein dîner. On ne l’a pas vu arriver, tant il est mystérieux. Son rythme tenace anime la conversation, avec son insoutenable lenteur. Passionnant pourtant. Les convives le dévisagent. C’est un mollusque aux antennes vives, traînant une coquille ocre, sculptée d’une spirale très fine. Naturellement, la vue de son habitat naturel nous amène à commenter le problème du logement humain et la hausse bestiale des taux d’intérêt. Puis quelqu’un ajoute que ces hermaphrodites échangent œufs et sperme dans une copulation intense qui peut durer sept heures. Nous nous regardons de travers.


Description de l’image

Getty Images/iStockphoto

Je n’ai aucune idée du temps qu’il a mis pour arriver ici. Il est peut-être venu de la haie, évitant un risque élevé de mort par piétinement, puis a grimpé sur un pied de la table, sur la base de la bave. Où veut-il aller avec tant de force et ce sens du rythme qui nous explose à la tête ? Pauvre naïf, nous pourrions le manger tout de suite à cette table de prédateurs infiltrés. Mais sa lenteur nous mène à l’abîme. La perfection de sa spirale aussi. Soudain, comme ça, sous les étoiles, il y a des êtres qui vous sucent l’âme. Et la serviette. Une serviette en papier qui a trouvé son chemin, et qui semble sucer.

Il y a un moment dans la vie où il faut accepter qu’il y a des choses que l’on ne fera plus.

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L’esprit du dîner est le sien : l’étrangeté de la perception du temps nous tombe sur la tête et, naturellement, la conversation porte sur le passage des années, la nostalgie de la vie, des choses comme ça. Cet escargot, c’est un peu notre madeleine de Proust. Mais il semble coincé dans la serviette, et quelqu’un fait remarquer qu’il y a un moment dans la vie où il faut commencer à accepter des limites. Accepter qu’il y a des choses que l’on ne fera plus. Des désirs de jeunesse qui ont expiré.

Vous n’avez pas à le prendre mal non plus. Il y a beaucoup de personnes mûres, par exemple, qui seraient plus heureuses d’accepter qu’elles ne parleront jamais couramment l’anglais. Ou cassé. C’est une autre histoire pour ce dîneur, un fonctionnaire, qui, semble-t-il, a toujours voulu être un patineur artistique de compétition. Eh bien, à mon âge, autant accepter que je ne gagnerai jamais la médaille d’or en patinage artistique », dit-elle avec un réel regret.


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Clara Sanchis Mira

01.05.2013, Menorca Cala Viola sur l'île de Minorque. Mer Méditerranée, vacances, détente, détente, détente, détente, environnement rural, air pur, propre, coucher de soleil, soleil, été, photo : Jordi Play

L’attachement de l’escargot à la serviette commence à être inquiétant. Il n’avance pas. Les convives sont divisés entre ceux qui pensent qu’il a les ressources pour s’en sortir et les interventionnistes qui pensent qu’il est à sec par un effet incontrôlé d’aspiration de la cellulose. On se demande même s’il sait descendre de table tout seul. S’il vous plaît.

La proposition de l’emporter dans un géranium n’est pas acceptée, de peur de le désorienter à jamais. Les escargots ne connaissent pas l’avion, et notre hôtesse ne veut pas d’un mollusque qui a perdu la tête dans son jardin. Un consensus se dégage pour lui retirer sa serviette mais le laisser sur la table, afin qu’il aille où bon lui semble dans sa lente vie. Le dîner se poursuit, tout comme la trace visqueuse du désir de l’escargot.

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