Au milieu du XIXe siècle, l’Empire ottoman, à cheval sur l’Europe, l’Asie et l’Afrique, a atteint des proportions énormes. Cependant, sa puissance s’affaiblit, contrairement à celle des pays occidentaux, comme la France et surtout la Grande-Bretagne, qui sont devenus des empires coloniaux. La Russie, quant à elle, cherchait un débouché sur la mer Méditerranée depuis que Pierre le Grand, 150 ans plus tôt, avait cherché à faire de son pays une puissance navale. Il s’était déjà battu contre les Turcs, sans grand succès.
La guerre de Crimée, qui oppose d’abord les empires russe et turc, débute formellement le 2 juillet 1853, lorsque le premier franchit la rivière Pruth et pénètre en Moldavie et en Valachie dans le but, officiellement, de libérer leurs populations chrétiennes du joug ottoman. La décadence de l’empire turc ainsi que les prétentions russes de longue date, que nous avons évoquées, à prendre pied en Méditerranée, sont évidemment à l’origine de cette invasion.
Lire aussi
La France et la Grande-Bretagne craignent que les Russes n’atteignent Constantinople, ce qu’elles ne peuvent permettre. Elles envoient donc un corps expéditionnaire pour protéger la capitale ottomane et le détroit du Bosphore. Leurs forces sont positionnées au sud du Danube, prêtes à intervenir si les troupes du tsar franchissent le Danube. Cette intervention n’est pas nécessaire, car l’armée turque est suffisante pour stopper l’avancée de l’ennemi.
L’habile général Omar Pacha se renforce sur la rive sud du Danube, sans pour autant renoncer à maintenir plusieurs têtes de pont puissantes sur l’autre rive, à partir desquelles il menace d’envelopper ses ennemis s’ils osent forcer le franchissement du fleuve. Cette tactique a non seulement empêché les Russes d’avancer, mais elle a également permis à Pacha de remporter la bataille d’Oltenitza.

La bataille d’Oltenitza, par Karl Lanzedelli.
C’est le début d’une série de revers pour les armes tsaristes qui les obligent, à la fin de l’année, à se replier sur leurs bases, ce qui signifie leur défaite sur le front danubien.
La mer Noire
Le conflit s’étend également à d’autres régions, comme la Baltique, l’Asie de l’Est, le Caucase – où les Russes remportent leurs plus importantes victoires – et, surtout, la mer Noire. En mer Noire, la guerre se déroule sur terre et sur mer. Lors de la bataille de Sinop, la marine russe a infligé une sévère défaite à l’armée ottomane, ouvrant la voie à un éventuel débarquement dangereux dans le détroit.
Face au risque d’une victoire russe, la France et l’Angleterre se déclarent alliées de la Turquie dès 1854 et envoient leurs flottes qui, beaucoup plus modernes, obligent les Russes à se réfugier dans leurs bases de Crimée. Mais les Alliés (rejoints plus tard symboliquement par le Royaume de Piémont-Sardaigne), pour désorganiser complètement la puissance navale de leur ennemi, doivent occuper la base principale des Russes, Sébastopol. C’est l’épisode le plus long, le plus ambitieux et le plus sanglant de la guerre.
Lire aussi

En septembre 1854, les Alliés débarquent sur la péninsule de Crimée, à une cinquantaine de kilomètres de la base navale. L’intervention est d’abord limitée à un peu plus de 50 000 hommes. Elle doit être portée à plus de 400 000 (300 000 Français et 100 000 Britanniques), qui rejoignent les forces turques.
Dans leur progression vers Sébastopol, ils battent les Russes à la bataille de l’Alma, parvenant à déborder leurs lignes. Les troupes françaises ont prouvé leur qualité et l’expérience acquise lors des combats en Algérie, ce qui n’est pas le cas des forces britanniques, absentes du champ de bataille depuis Waterloo. Les batailles de Balaclava et d’Inkerman qui suivirent permirent d’enfermer définitivement les Russes.
La base assiégée
Malgré la victoire d’Alma, les Alliés mettent plus d’un mois à atteindre Sébastopol, ce qui laisse aux défenseurs le temps de s’organiser. Pendant ces semaines, plus de 100 000 chariots réquisitionnés auprès des paysans approvisionnent la ville en munitions et en nourriture. C’est presque exclusivement la marine russe, soit 30 000 hommes, qui résiste, sous le commandement de l’amiral Nakimov et du colonel Todleben.
Todleben, ingénieur prussien au service du tsar, élabore un excellent réseau de tranchées, de forts et de parapets contre lesquels s’écrasent les assaillants. Constatant par ailleurs l’infériorité de leur flotte par rapport à celle des Alliés, ils décident d’utiliser leurs navires de manière non conventionnelle : ils en coulent sept à l’entrée du port pour empêcher l’ennemi d’y pénétrer et démontent leurs pièces d’artillerie, qu’ils placent dans leurs défenses terrestres.

Les chefs alliés du siège de Sébastopol.
L’année suivante, les opérations militaires se sont concentrées autour de la ville assiégée. Il s’agissait d’une action de siège typique, avec des mines, des fossés, des tranchées et des parapets, où jour après jour, dans une sanglante bataille d’usure, les deux camps se sont battus pour le contrôle des positions. Comme dans toute bataille de ce type, la victoire est revenue au camp disposant du plus grand nombre de troupes et de réserves.
Les défenseurs subissent 60 % de pertes mortelles, dont six amiraux et leur commandant, ce qui porte un coup sévère à leur moral. Les pillards, bien approvisionnés en munitions, tirent 52 000 coups par jour sur la ville. Finalement, après près d’un an de siège et constatant que la ville était irrémédiablement perdue, les Russes entamèrent une retraite ordonnée sur un pont de bateaux qu’ils avaient construit.
Avec la chute de Sébastopol, la guerre est effectivement terminée, bien que la Russie soit encore en mesure de conquérir la ville arménienne de Kars et d’autres territoires voisins.
Malgré ces légères avancées dans le Caucase, la puissance slave est contrainte de renoncer à ses conquêtes danubiennes et à ses ambitions sur la Sublime Porte. Les Alliés, eux aussi, sont terriblement épuisés par les lourdes pertes qu’ils ont subies, ce qui facilite grandement la voie de l’armistice.

Gravure de la guerre de Crimée, 1855.
Les puissances neutres, la Prusse et l’Autriche, présentent une proposition de paix qui est acceptée par le nouveau tsar, Alexandre II, beaucoup plus libéral que son père, Nicolas Ier. L’accord comprend l’indépendance de la Valachie et de la Moldavie, la liberté de navigation sur le Danube et la mer Noire, qui est déclarée mer neutre, ainsi qu’une protection européenne sur le Danube et la mer Noire. L’accord prévoit l’indépendance de la Valachie et de la Moldavie, la liberté de navigation sur le Danube et la mer Noire, déclarée mer neutre, ainsi que la protection européenne des chrétiens et de leurs pratiques religieuses sur l’ensemble du territoire de l’Empire ottoman.
Sur le plan géostratégique, la France et la Grande-Bretagne deviennent dès lors les gendarmes de l’Orient, défendant les Turcs contre les ambitions expansionnistes des Russes et des Autrichiens.
Ce texte fait partie d’un article publié dans le numéro 462 de la revue Histoire et vieVous avez une contribution à apporter ? Écrivez-nous à redaccionhyv@historiayvida.com.