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Grottes Cosquer : un entretien d’expert avec Jean Courtin

Premier préhistorique à avoir évalué la grotte que vient de découvrir Henri Cosquer, Jean Courtin, spécialiste français de la préhistoire, du néolithique et de l’âge du bronze, nous rappelle cette expérience hors du commun.

Lorsque l’homme préhistorique se souvient de l’épopée de l’expérience rock de Cosquer, il arbore un sourire franc et son regard malicieux brille, témoignant d’une vie pleine d’expériences palpitantes. La première grotte ornée de Provence, en 1991, a été déclarée aux autorités maritimes par Henri Cosquer qui l’avait découverte 6 ans plus tôt. Connu des plongeurs, c’est un drame qui pousse Cosquer à déclarer sa découverte aux autorités. Désormais la grotte fait partie du patrimoine national mais portera son nom.

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Quelle a été votre réaction en découvrant la grotte de Cosquer pour la première fois ?

Jean Courtin : « Nous avons travaillé 10 ans juste à côté de cette grotte, sans le savoir. Nous plongions, car au Paléolithique la mer était au moins 120 mètres plus bas. On cherchait donc des habitats plutôt de grandes arcades et non des petits trous, comme dans le cas de Cosquer. On a dû passer devant elle des dizaines de fois sans s’y attarder. Et Cosquer, il s’est aventuré dans ce tunnel d’environ 170 mètres. Ce n’est pas amusant, croyez-moi! Et nous n’avons pas à paniquer, car nous ne savons pas si nous finirons par trouver quelque chose.

C’est une sorte de miracle qu’il s’y soit aventuré et beaucoup d’insouciance de sa part, un autre que la topographie de la grotte soit en pente ascendante donc préservée de la corrosion de la mer et qu’elle soit issue de tant de richesses !

La première fois que j’ai plongé dans la grotte, nous avons eu l’aide de plongeurs de la Marine Nationale, de nageurs de combat qui avaient sécurisé le site et le passage du tuyau. Ils ont également fait installer des lumières. Quand je suis arrivé, ce qui m’a frappé, c’est qu’il y avait des dessins partout, près de 500 personnages, des centaines d’animaux de toutes sortes, des gravures, des mains et une vraie répartition du temps dans l’espace. C’était incroyable!

Nous avions devant nous des dessins aussi parfaits que ceux de Lascaux mais deux fois plus vieux. La grotte Cosquer est la première grotte ornée découverte en Provence, alors que l’on connaît de nombreux habitats du Paléolithique supérieur dans toute la région.

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La première campagne d’étude prévue pour la grotte a eu lieu fin 1994, lorsque nous avons commencé à enregistrer les dessins et les gravures. Il y a des représentations d’animaux, des mains négatives et positives et des marques laissées par l’homme sur les parois de la grotte. Mon ami Jean Clottes était avec nous depuis le début, à bord de l’Archeonaut, puis au téléphone depuis le bateau pendant que nous étions dans la grotte. Il est le véritable spécialiste de l’art rupestre. Nous avons bénéficié de la dernière technologie de datation pour ces conceptions, qui datent toutes de 29 000 à 21 000 ans avant nos jours. le 3Et et la dernière campagne a été réalisée à l’été 2003.

En tant que spécialiste, que signifient tous ces dessins et symboles ?

JC : À l’époque où l’homme préhistorique fréquentait la grotte, le niveau de la mer était d’au moins 120 mètres plus bas et le littoral était à environ 12 kilomètres. Cette grotte a connu une occupation longue et quasi ininterrompue de -33 000 à -19 000, elle comprend plus de 400 objets d’art rupestre exceptionnels, dont 216 signes, des représentations uniques d’animaux marins tels que pingouins, phoques, méduses, mais aussi de nombreux chevaux, bisons et aurochs. Les murs sont également recouverts de rares représentations humaines incluant « les assassinés » et symboles sexuels, empreintes digitales sur des portions entières de caveaux, créations picturales avec des outils, en tout près de 500 représentations peintes et gravées à la main de l’homme.

En raison de l’étroitesse d’accès, ce lieu a dû être réservé aux cérémonies, les rites et les représentations avaient un sens qui s’est perdu avec le temps et l’absence d’écrits, mais c’est ce que l’on peut déduire des braises laissées par les torches et des lampes à graisse animale. Celles-ci servaient à illuminer le lieu tout en permettant à la personne d’avoir les mains libres pour dessiner ou s’adonner à des rituels.

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En effet, la pègre a toujours fait peur aux humains, même aux homo-sapiens. Aller au fond des grottes était pas naturel, il était donc réservé à ceux qui communiquaient avec l’invisible, ceux que l’on appelle encore aujourd’hui chamanes ou druides. Certes, il y avait une grande vie spirituelle, comme en témoignent les ornements de coquillages que nous avons trouvés datant de la même période.

Le gibier de base au Paléolithique en Provence était le bouquetin, le chamois, le bison ou le cerf. Cependant, ces animaux sont sous-représentés dans les grottes, nous n’avons donc pas pêché tous les jours. Les animaux représentés seraient donc des animaux symboliques. Le bison serait femelle, le cheval, le chevreuil ou le mâle bouquetin avec un sexe accentué dans les dessins, est recherché. Malheureusement on ne peut pas dire avec certitude à quoi il correspond, ainsi qu’aux symboles en grande quantité dans la grotte, on ne sait pas encore à quoi il correspond.

Pour les centaines de mains négatives (le pigment est jeté autour de la main appuyée contre le mur) ou positive (la main est trempée dans le pigment et son empreinte est apposée sur le mur).

Comment était la Provence à cette époque ?

JC : Il ne faisait pas très chaud, c’était une période glaciaire, c’est pourquoi le niveau de la mer était plus bas. Par contre dans ce monde, l’animal était majoritaire et l’homme anecdotique. Le monde à cette époque ressemblait à l’Afrique de l’Est (mais en plus froid) et à ses immenses troupeaux. L’homme était un chasseur-pêcheur-cueilleur qui respectait l’environnement, limitait ses naissances et prenait ce dont il avait besoin, pour préserver la ressource.

Quant à son habitat, l’homme des cavernes n’a jamais existé. Les humains ont construit des huttes avec ce qu’ils ont trouvé. Lorsque les grottes étaient suffisamment grandes, ils les aménageaient pour se protéger du froid ou de la chaleur. L’âge moyen des hommes était de 30 à 35 ans, pour les femmes de 16 à 25 ans en raison des grossesses. Il faudra attendre le Néolithique, vers 10 000 ans au Moyen-Orient et 6 000 ans en Occident, pour voir les débuts de l’agriculture.

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La population a commencé à croître au cours du développement de l’agriculture et de l’agriculture permanente. La sédentarisation a accentué la coexistence homme-animal et le regroupement des activités a donné lieu à une densité de population inconnue jusqu’alors. Des épidémies sont apparues à cette époque. Cela fait écho à l’époque dans laquelle nous vivons maintenant.

Avez-vous des regrets ou des espoirs pour ces expériences?

JC : A l’exception d’une exposition dans les années 94-95 « le sanctuaire englouti » aux Docks, lorsque des touristes venaient à Marseille pour voir la grotte de Cosquer, nous n’avions rien à leur montrer. Pendant longtemps, les étrangers qui voulaient voir la grotte Cosquer ou du moins les images de ce chef-d’œuvre n’avaient aucun support. Nous avons dû attendre 30 ans pour la reconstruction de la grotte. Je suis vraiment heureux que cela se produise enfin et dans des conditions idéales. Cela valait peut-être la peine d’attendre !

Cependant, le développement du tourisme de masse doit aller de pair avec la protection des sites. Il y a eu des effractions depuis la grotte alors qu’il y avait une porte.

Cosquer est une très grande trouvaille en raison du nombre de représentations, et de par leur nature certaines d’entre elles comme les manchots sont rares, même des phoques sont figurés.

Toutes les grottes que nous avons creusées en Provence n’avaient pas toutes ces gravures, même si nous avons creusé un peu partout. Par ailleurs, nous ne connaissons aucune sépulture paléolithique en Provence. C’est très étrange mais c’est sans doute une autre énigme à résoudre ! Quant au Néolithique, on connaît bon nombre de sépultures en région Provence-Alpes-Côte d’Azur : grottes-ossuaires, hypogées, dolmens.

En revanche, sur la chaîne de la star toute proche de Marseille, on a retrouvé la sépulture d’une femme de 6000 ans avant JC, certainement la plus ancienne de Marseille, peut-être pourrions-nous en parler davantage et qu’un jour plus tard, on le saura son histoire…

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