Le soleil disparaît peu à peu derrière les cimes. Les derniers rayons réchauffent l’air frais de la plaine en contrebas, recouverte de neige. Dans ce coin perdu, quelque part, à l’écart des pistes de la petite station de Ceillac, aux portes du Queyras dans les Hautes-Alpes, on s’attend à croiser un skieur téméraire, en peau de phoque, ou du moins un tétras-lyre égaré dans ce désert figé. Mais à pas de loups, des palmes dans les bains, on aperçoit au loin des drôles d’amphibiens qui foulent prudemment le sol gelé du lac Sainte-Anne, à 2.300 mètres d’altitude.
En ce matin de janvier, à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, les gendarmes de la brigade fluviale et nautique de Martigues sont partis, quittant leur mer Méditerranée pour s’exercer, pour la première fois, à la plongée sous-glace. Une situation que ces gendarmes spécialisés doivent pouvoir maîtriser, afin notamment de pouvoir retrouver un skieur piégé dans cette prison givrée.
Près d’un mètre de glace
La veille, pour mener à bien cet exercice coordonné, premier du genre avec leurs collègues martégaux, les hommes du peloton de gendarmerie de haute-montagne (PGHM) de Briançon ont bataillé pendant près de trois heures à la tronçonneuse, puis à la barre à mine, afin de percer trois trous dans les 80 centimètres de glace, et ainsi délimiter sur le lac un triangle équilatéral d’un mètre de côté. Le tout avant d’acheminer les 450 kg de matériel de plongée des gendarmes martégaux grâce à la dameuse du domaine, mise à disposition par la station.
«Ce lac, c’est une sorte de mille-feuille, une superposition de couches de glaces avec de l’eau, détaille Denis Brun, secouriste au sein du PGHM. Nous avons mis en place une ligne de vie fixée à un corps mort, à l’extérieur du lac, afin de pouvoir tester la glace et pouvoir s’y rendre sans danger. Il ya eu aussi un travail de repérage afin de connaître l’épaisseur de la glace. Il a fallu percer avec la broche à glace. Et au-delà de vingt centimètres, on sait qu’on ne craint rien. »Gare d’ailleurs à celui qui voudrait littéralement sortir des sentiers battus, au risque de se retrouver prisonnier dans l’eau polaire.
Une plongée éprouvée
A noir noir à la main, Denis Brun parcourt prudemment la surface de la glace. La petite machine émet un son strident, puis un autre, et ce dans un tours de temps de plus en plus court. « Là, il est très proche ! », S’écrie le secouriste. De l’autre côté, un plongeur de la brigade nautique suit les cordes habillées en guise de ligne de vie, sans appui ni possibilité de perforer la glace qui fait office de ciel. Patiemment, calmement, le gendarme se fraye un chemin à travers les bulles d’oxygène retenues par ce plafond banquise, posé sur une eau laiteuse, où la visibilité ne dépasse pas les deux mètres… et la température les deux degrés.
Un exercice aussi physique que technique, même pour ces plongeurs aguerris, qui ont dû se changer directement dans la neige. Avec l’altitude notamment, les paliers de décompression changent, et la fatigue se fait sentir. «Je suis essoufflé, s’étonne le lieutenant Sébastien Puccini, à la tête de la brigade nautique et fluviale de Martigues. On est en altitude, et eux, les gendarmes du PGHM, ils sont des habitués. Nous, un peu moins… J’ai fait le malin tout à l’heure à monter avec mes bouteilles. J’étais vidé. Vous économisez des calories. Là, je commence à avoir froid. Et encore, on l’a fait avec le soleil ! En autonomie, je pense pouvoir déverser des recherches de train pendant quelques minutes. Mais pas plus. »
«Avec cette altitude, on manque d’oxygène, abonde Adrien, également membre de cette brigade. C’est ça le plus dur à gérer. Et puis d’habitude, quand on sort, on a le bateau, ou la rive. Là, il faut marcher dans la neige et tout porter. » Un exercice pratique rare qui aboutit à la rédaction de fiches précieuses pour anciens de nouveaux plongeurs à ces opérations périlleuses.