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De Sète à Frontignan : comment l’archéologue Laurence Serra résout les investigations sous-marines depuis 20 ans

L’histoire des fouilles sous-marines qui ont permis de résoudre l’énigme du naufrage du 14 février 1867 dans les Aresquiers des voiliers marchands Justine et Olympia, racontée dans un livre.

« L’équipage du Justine ne voyait rien dans une tempête de sud/sud-est et a soudain aperçu un monstre que la vague lui lançait. Le vent de dos qu’ils avaient pris pour éviter l’Olympia déjà en perdition les a poussés vers la plage. A partir du moment où le la quille du Justine s’est coincée dans un choc, la vague a mis le bateau en pièces ! ». Quand Laurence Serra, archéologue subaquatique du CNRS à l’université d’Aix-Marseille, décrit avec des gestes grandioses, le double naufrage après une collision frontale entre ces deux bateaux, un français Justine qui se rendait à Sète et l’autre grec, deux fois plus grand que « fuite » ce même port après avoir peut-être subrepticement fait passer sa cargaison un soir de Saint-Valentin en 1867, c’est comme si nous y étions. Résultat : sept marins sur neuf de la Justine se sont noyés, dont le capitaine de Sète Jean Celly et l’un des six pêcheurs venus de Palavas pour tenter de les sauver. L’équipage de l’Olympia sera en sécurité.

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Sauvez la vigne de l’oïdium

A l’époque, les naufrages étaient fréquents. Les deux brigands (voiliers marchands de l’époque napoléonienne) transportaient le soufre des pentes de l’Etna jusqu’en Sicile. Un minéral très précieux pour soigner les vignobles de la région dévastée par l’oïdium, à l’origine d’une crise agricole et économique sans précédent pour la France. Olympia transportait également des céréales et des hydrocarbures ukrainiens.

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Un réseau d’experts

Avec l’équipe de la section de recherches archéologiques sous-marines et subaquatiques (Srassmf) de Frontignan fondée en 1981, la scientifique vient de publier un livre aux éditions du Papillon rouge qui retrace l’épopée des cinq campagnes de fouilles (entre 2015 et 2019, lire à côté) sur les deux épaves trouvées devant Vic-la-Gardiole, dans la plage de 150m à 300m de la plage du Lido Naturel des Aresquiers. Et il raconte comment son équipe, épaulée de bénévoles, d’étudiants et d’experts ultra pointus réunis grâce à son réseau (laboratoire suisse du bois, à Lyon pour le soufre, à Arles pour le métal, etc.) a réussi à faire avancer les connaissances de la marine marchande. Mais aussi sur l’histoire locale, comme celle de l’usine de raffinage du soufre à Frontignan.

Laurence Serra et F. Commeihnes sur les fouilles d’Olympie en 2018.
Agglopole

« Comme une scène de crime »

Depuis 2003, avec le Srassmf, Laurence Serra a réussi à identifier quatre épaves dont l’Amphitrite (fouilles 2003-2006), et la Michèle-Archange (2006-2008). Puis Justine et enfin Olympia. « On a travaillé sur les épaves comme sur une scène de crime », précise ce spécialiste des investigations sous-marines. Découverte par un pêcheur de poulpes, Raymond Vallon, en 2007, la Justine a d’abord porté le nom de code Aresquiers 12. C’est l’empreinte d’une pièce de monnaie datée de 1862 à l’intérieur d’une concrétion accidentellement rompue, qui est apparue sur le premier indice important de ces investigations.

Illumination du constructeur naval

L’équipe de Laurence Serra a utilisé des technologies de pointe comme celle de la société iXblue qui a relevé l’épave du Titanic, mais aussi le savoir-faire d’un charpentier de marine pour la recherche. Il plongera sur des épaves pour dessiner et mesurer la coque. L’expert a pu confirmer que le bateau Aresquiers 12 a été fabriqué en Provence grâce, par exemple, à la racine de l’arbre. La découverte d’un revêtement de zinc de la quille, d’un revêtement renforcé (pour réduire la perte de soufre) et d’un plancher mobile confirmera que l’épave correspondait à la Justine décrite dans son acte de francisation (immatriculation).

L'aide d'un charpentier de marine qui était également plongeur a été inestimable pour faire avancer les recherches de l'archéologue.

L’aide d’un charpentier de marine qui était également plongeur a été inestimable pour faire avancer les recherches de l’archéologue.
Laurent Serra

Mais l’identification du navire échoué à 150 mètres de la plage n’aurait jamais pu être identifiée sans fouiller… dans les archives un peu partout. « C’est vraiment mon hobby et nous avons eu de la chance là-bas »dit Laurence Serra.

Un journaliste et un cuisinier au centre de l’enquête

En 2016, elle se rend sept mois sur sept à la médiathèque Emile Zola de Montpellier avec les bénévoles du Srassmf pour consulter les éditions du Messager du Sud depuis 1862. « Nous n’aurions jamais retrouvé l’Olympia recouvert de sédiments, sans le travail d’un journaliste de l’époque qui a relaté le naufrage des deux navires le 14 février 1867, sous la forme d’un feuilleton publié pendant un mois » .. L’enquêteur de la presse locale a pu interroger le cuisinier survivant de Justine, qui s’était aventuré à témoigner auprès des autorités maritimes d’une collision entre les navires. L’autre survivant, le second, l’avait tué. Mais les fouilles archéologiques de Laurence Serra ont donné raison au chef.

Retour sur une épopée archéologique

2007 La découverte de l’épave du brick-goélette de 200 tonneaux par un chasseur de poulpes dans 4 mètres d’eau et à 150 m du rivage, face à Vic-la Gardiole. Il est entouré de blocs de soufre. La coque mesure 20 mètres de long et sera évaluée en 2009 par Marie-Pierre Jézégou, du Département des recherches sous-marines et archéologiques sous-marines de Marseille. Les scientifiques pensent alors à Saint-Stanislas, le seul naufrage connu d’un navire chargé de soufre.

2015 Le Ministère de la Culture autorise une campagne de fouilles. Elle est confiée à la Section de recherches archéologiques sous-marines Frontigan dirigée par Laurence Serra, archéologue CNRS sous l’égide du Drassm.

2016 Une pièce gravée « Napoléon III Empereur 1862 » a été retrouvée sur l’épave des Aresquiers 12. Des recherches dans les archives de la médiathèque Zola de Montpellier et celles du Département révèlent que deux bateaux ont coulé le 14 février 1867 au large de Vic-la-Gardiole, une Française, Justine et une Grecque, Olympia. Notamment grâce au récit paru dans le journal Le Messager du Midi en 1867 qui relate la collision entre les deux voiliers marchands lorsqu’une des plus grosses tempêtes du siècle frappe le golfe du Lion.

2018 Une inspection par la société iXblue réalisée grâce aux calculs d’un géomaticien identifie enfin la seconde épave et confirme la trace du double naufrage du Justine et de l’Olympia.

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