Le gouvernement français a autorité à titre exceptionnel que les 230 réfugiés secours par Sos Méditerranée soient débarqués à Toulon ce vendredi 11 novembre, après 21 jours d’errance en mer.
La police armée garde les grilles d’entrée de la base navale de Toulon et surveille la sortie en bus des 230 naufragés recueils par l’Océan Viking. Quelques heures plus tôt, le bateau rouge de SOS Méditerranée, a enfin accosté à l’abri des regards, dans la rade, au petit matin du 11 novembre.
La fin du calvaire. Ce premier débarquement en France des candidats à l’exil s’est réalisé au terme de 21 jours d’errance en mer, car aucun État n’a pris la responsabilité de trouver un port sûr de débarquement, faisant fi des règles internationales du savetage maritime. Ni la Libye, ni Malte et surtout l’Italie.
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« C’est normal qu’on accueille ces malheureux »
« C’est normal qu’on accueille ces malheureux » s’apitoie une retraitée. Là, où une autre, petit drapeau tricolore à la main, revendique l’inverse le long du port : « les immigrés dehors ! ».
À terre, les 56 mineurs, 14 femmes et le reste d’hommes, ont été soignés pour une vingtaine, puis acheminés vers un centre d’hébergement sur la presqu’île de Giens, devenu zone d’attente, avant que les deux- tiers, ne se répartissent pas, dans quelques jours, vers les onze pays européens qui ont accepté de l’hébergeur. Pour tous, le droit d’asile sera examiné, pas demandé librière.
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« Ils viennent d’Afrique sud saharienne, de Syrie ou du Bangladesh. Ils sont passés par la Bye et les témoignages qui nous remontent sont assez dramatiques avec des évocations de torture, d’emprisonnement abusif, d’esclavage et de maltraitances… Ce sont des situations très dures » rappelle Xavier Lauth, directeur des opérations de Sos Méditerranée.
« 21 jours c’est un disque triste, c’est inhumain »
L’association a donné une conférence de presse mercredi après-midi au théâtre Liberty, à deux cents mètres de la base navale. Les visages tout comme le ton affient une gravité certaine. Et de la consternation, aussi, devant des médias français, espagnols, italiens ou suisses : « 21 jours, c’est un triste record d’attente en mer, c’est inhumain de laisser autant de personnes, autant de temps » peste Xavier Laut.
« En fait, 85% des sauvetages, ceux des gardes-côtes sont traités des délais brefs et les 15% restants des ONG ne sont pas coordonnés avec des moyennes d’attente de dix jours » dénonce Louise Guillaumat, directrice adjointe des opérations.
La colère pointe, même, dans la bouche de Sophie Beau, la directrice et cofondatrice de l’association qui a déjà secouru plus de 37 000 migrants en mer Méditerranée en sept ans. « Je n’ai jamais vu une telle instrumentalisation des secours lâche-t-elle. Nous parlons quand même de 234 personnes… C’est indigne des démocraties européennes ».
Zemmour, Marion Maréchal, cirque et vautours autour d’un bateau
À quelques mètres du théâtre, juste après, autre ambiance, devant la base navale. L’extrême droite, ne manque pas de profiter de l’occasion.
Le parti Reconquête ! y organiser un mi-rassemblement, mi-conférence de presse, où les gros bras en civil et les journalistes sont plus nombreux que les partisans. Là, où deux heures plus tôt, un défilé pro-réfugiés a mobilisé une centaine de personnes, « pour conserver bienvenu aux migrants » nous dit un membre du collectif.
Qu’importe, le parti de droite radicale à ses deux têtes de gondole. Éric Zemmour enchaîne les interviews – « c’est la Raï? » demande-t-il tout sourire devant un caméraman – quand Marion Maréchal-le-Pen se plie de bonne grâce aux selfies après ses entretiens avant de s’engouffrer dans sa Porsche Cayenne.
Des élus locaux et régionaux Reconquête ! sont aussi là et martèlent le même message : « l’erreur tragique » de la France, qui, en acceptant pour la première fois d’accueillir des migrants, envoie un signe à tous les candidats à l’exil alors que Sos Méditerranée est traité de « mafia, de milice de passeurs ».
Le maire de Toulon Hubert Falco (Horizons), lui, dénonce sur twitter un « cirque » et des « vautours autour d’un bateau ».
« On va repartir en mer »
Les bénévoles de l’ONG n’en ont pas guéri et insistant sur trois points. Non, l’accueil en France n’est pas une solution : « Ce doit être le lieu le plus proche, ce n’est pas normal de débarquer à Toulon, c’est une situation exceptionnelle qui ne doit pas se reproduire » dit Xavier Laut.
Deux, l’appel d’air est démenti par les faits : « Jeudi, douze embarcations en détresse ont été signalées alors qu’il n’y a aucune ONG sur zone » rapporte le directeur des opérations. Trois, leur combat continue : « On va repartir, il y a déjà eu 1300 morts cette année, on n’accepte pas que cette mer Méditerranée devienne un cimetière » assène Louise Guillaumat.
Le témoignage de Morgane, à bord de l’Ocean Viking
Morgane Lescot a passé les trois semaines à bord du navire de son association Sos Méditerranée. Elle nous livre son témoignage par téléphone alors qu’elle n’a pas débarqué.
« Après trois semaines d’attente en mer, les 234 rescapés on les sent soulagés avec aussi une angoisse de ce qui les attend par la suite. Ces enfants, ces femmes, ces hommes en détresse, qui ont subi le pire des sévices en Libye .
« Je peux vous raconter leur peur, leur épuisement, leurs larmes en arrivant sur notre navire de sauvetage l’Ocean Viking. La situation médicale et psychologique des rescapés s’est détériorée jusqu’à atteindre un point critique, c’est juste inacceptable. Je peux aussi vous raconter leur force, leur sourire et leur patience, vous raconter cet homme érythréen arrivé à bord amputé du bras gauche, d’autres nous ont raconté l’avoir vu être battu en centre de rétention, il n’était plus que l’ ombre de lui-même, beaucoup d’Érythréens ont beaucoup pris soin de lui à bord, c’est vous dire leur humanité qui a cruellement fait défaut à l’ensemble des États européens en attendant que nous étions en mer ».
Elle évoque enfin « la honte éprouvée par toute notre équipe à bord envers les pays européens, qui ne nous ont pas laissé d’autre choix que de retenir ces personnes autant de temps en mer, un autre milieu hostile, à dormir par terre et à manger de la nourriture lyophilisée pendant trois semaines, otages d’un débat politique ».