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Certains d’entre nous sont plus égaux que d’autres, par John Carlin

Un méga-riche pakistanais et son fils ont eu la malchance de mourir en mer cette semaine. Plus de 300 pauvres Pakistanais ont eu la malchance de mourir en mer la semaine dernière. Nous connaissons les noms des deux victimes. Pendant quatre jours, la moitié du monde est restée sur le qui-vive, suivant les informations pour savoir si les riches seraient sauvés vivants. Le jour où nous avons appris le sort des pauvres, il était trop tard pour un miracle.

Je me réfère en premier lieu, pour les lecteurs qui auraient passé la semaine sur Mars, à l’affaire du submersible Titan, dont les cinq passagers, y compris les deux milliardaires pakistanais, sont morts en tentant de voir l’épave de l’avion. Titanic au fond de l’océan Atlantique. Je fais référence, pour les lecteurs qui ne s’intéressent pas trop à l’actualité internationale, au naufrage d’un bateau de pêche libyen dans la mer Ionienne, au large des côtes grecques, qui a coûté la vie à quelque 400 « sans-papiers », comme nous les appelons, pour la plupart des Pakistanais.

La mort de 37 autres « simpapeles », cette fois dans le naufrage d’une patera en provenance d’Afrique et à destination des îles Canaries, a suscité moins d’intérêt, sauf ici en Espagne.


Oriol Malet

Que dire ? Deux choses, pour commencer. Que, selon toutes les indications, mille fois plus d’efforts ont été consacrés à la mission de sauvetage du petit submersible des cinq hommes riches qu’aux missions de sauvetage des centaines d’hommes pauvres. Que, sans aucun doute, les médias ont accordé mille fois plus d’attention au drame des fêtards sur la plage. Titan que celle de ceux qui ont tout misé pour atteindre la terre promise européenne.

Je vais me lancer, de manière peu désintéressée, à la défense des médias. Il y a deux catégories de nouvelles, comme on dit dans mon pays natal : « Dog bites man and man bites dog » (le chien mord l’homme et l’homme mord le chien). Le chien mord l’homme et l’homme mord le chien. Parce qu’elle est inhabituelle, parce qu’elle est surprenante, la seconde catégorie se vend mieux. Les nouvelles de noyés en quête d’une vie meilleure appartiennent à la première catégorie. Elles sont si fréquentes que, pour terribles qu’elles soient, elles nous anesthésient. Rien qu’en 2022, 1 800 personnes sont mortes sur la route maritime des Canaries. Heureusement, des personnes engagées se battent pour la cause de ces vagues de réfugiés, mais le sentiment général est que leurs tragédies appartiennent au domaine des catastrophes naturelles de la vie, comme le cancer ou les accidents de voiture.

À ce propos, j’ai vu cette semaine un article de quatre paragraphes à l’adresse suivante. La Vanguardia d’un bébé écrasé par une camionnette à Barcelone. Une anecdote comparée à la nouvelle de la Titan, à laquelle des centaines de paragraphes ont été consacrés, mais elle a eu plus d’impact sur moi. J’ai imaginé plus fortement le chagrin des parents du bébé que celui des proches des cinq aventuriers aquatiques.

Il y a eu mille fois plus d’efforts pour sauver les cinq riches du « Titan » que pour sauver des centaines de pauvres.

Mais c’est là l’essentiel. Ils étaient des aventuriers. Des personnages de cinéma. Les nouvelles qu’ils ont générées étaient un véritable thriller. Si tous les cinq s’en étaient sortis vivants, comme les trois astronautes d’Apollo 13, il y aurait aujourd’hui une vente aux enchères à Hollywood pour savoir qui obtiendra les droits du film.

Quant au manque relatif d’intérêt supposé pour le sauvetage des victimes des naufrages au large des côtes grecques et canariennes, je n’en sais rien. Je n’ai pas les données et je ne peux pas me prononcer. J’ose cependant soupçonner que si les navires qui ont coulé avaient été des yachts avec des multimillionnaires à bord, il y aurait eu tout d’abord un intérêt pour le sauvetage des victimes des naufrages.
efforts auraient été déployés pour les sauver et, deuxièmement, il aurait été plus facile de les sauver. le dans le monde entier.

George Orwell écrit, pour moi, son meilleur livre, La Ferme des animaux, que « tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Le livre, publié juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, est une satire de l’Union soviétique. Le commentaire est d’une ironie décapante. Même dans le communisme, avec sa promesse d’égalité, il y a des gens dont la vie vaut plus que celle du commun des mortels. Il en a toujours été ainsi, que le système soit féodal, néolibéral ou marxiste.

L’indignation permet de continuer à se battre pour un monde où la fortune est moins inégalement répartie.

Certains, aurait pu ajouter Orwell, sont plus chanceux que d’autres. C’est le cas, par exemple, de Shahzada Dawood, le
milliardaire pakistanais tué dans le mini-sous-marin Titan. De parents fortunés, Dawood a étudié en Angleterre et aux États-Unis et a vécu légalement, sans avoir besoin de prendre un bateau, à Londres. Le demi-million de dollars qu’il a déboursé pour lui et son fils de 19 ans afin de vivre son aventure sous-marine pourrait provenir de l’un des comptes secrets dont il était connu. offshore, une goutte d’eau dans la mer de son colossal trésor. De l’autre côté, les centaines de ses compatriotes noyés au large des côtes grecques qui auraient pu verser l’intégralité de leurs économies aux trafiquants qui avaient organisé leur expédition transméditerranéenne ratée. Pour les premiers, l’investissement était un luxe (acheter une autre Lamborghini ou faire du tourisme titanesque ?); pour les seconds, une question de faim.

La tentation est grande de s’indigner. Eh bien non, je suis indigné. Je suis indigné, mais pour quoi faire ? Le contraste entre les deux histoires, celle des Pakistanais riches et celle des Pakistanais pauvres, n’est qu’une métaphore de plus des innombrables injustices qui nous entourent. L’indignation, si elle sert à quelque chose, c’est qu’il ne faut pas se résigner, qu’il faut continuer à se battre pour un monde où la fortune est moins inégalement répartie, où l’on aide davantage les pauvres à compenser leur malheur.

Il y a ceux qui consacrent leur vie à cette tâche de manière concrète, comme les membres des ONG qui font ce qu’ils peuvent pour venir en aide à ceux qui atteignent l’Europe par la mer. Mais que peuvent faire ceux d’entre nous qui ne sont pas des héros ? Parler, protester, crier, écrire et, je le dis, voter pour des partis qui comprennent que les riches ne méritent pas d’être riches et que les pauvres ne méritent pas d’être pauvres, mais que chacun est ce qu’il est grâce, avant tout, à la loterie de la vie et que, pour cette raison, nous devons
faire ce que l’on peut pour équilibrer la balance. Si cela ne marche pas, nous pouvons au moins dire que nous le voulons, que nous essayons, qu’avant la mort, qui nous frappe tous de la même manière, les Dawood comme les anonymes, nous vivons la vie avec une attitude de générosité.


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