Francina Armengol Socias (Inca, 1971) est la nouvelle présidente du Congrès des députés depuis jeudi dernier. Elle a été élue avec 178 voix (majorité absolue) lors de la première grande épreuve de force d’une législature au cours incertain. L’ancienne présidente du gouvernement des Baléares revient ainsi sur le devant de la scène politique, après la défaite de la gauche dans les îles le 28 mai dernier, principalement en raison de l’effondrement de Unidas Podemos dans le conflit labyrinthique qui l’oppose à Sumar. Formé à l’école autonomiste du socialisme baléarique, Armengol représente l’aile la plus fédéraliste du PSOE et connaît Barcelone. Son profil ne déplaît pas aux partis indépendantistes et elle sait lire les lignes en sanskrit que la politique catalane écrit plusieurs fois par mois. Vendredi dernier, la nouvelle présidente a reçu La Vanguardia au siège du Congrès.
Langues
« Je ferai un tour de table avec les parties pour élargir l’accord sur les langues.
Où va cette législature ?
Je n’ai pas de boule magique. Je peux seulement dire que j’ai assumé la présidence du Congrès avec beaucoup d’excitation et d’enthousiasme, et avec un grand sens des responsabilités. Cette législature peut être celle de grands progrès.
Vous avez déjà été reçu par le roi et le chef de l’État entame lundi le cycle de consultations. Le calendrier sera-t-il rapide ?
Après les consultations, le Roi m’informera de sa décision, comme le prévoit la Constitution. Il ne m’appartient pas de dire quel sera le calendrier, car je ne le sais pas.
Une fois la décision du Roi connue, il appartiendra au Bureau du Congrès de fixer une date pour le débat d’investiture. Le calendrier sera-t-il rapide ?
Cette décision devra être prise par le Bureau qui se réunira immédiatement. Je ne peux pas faire de prédiction sur le calendrier maintenant. Je peux seulement vous dire que je ferai de mon mieux pour que tout se passe le plus rapidement possible.
Dans son premier discours après son élection, elle a lu des vers du poète Salvador Espriu, qui étaient largement récités en Catalogne dans les années 1970. Ces vers sont tirés du recueil de poèmes La pell de brau, dans lequel Espriu demande à Sepharad (Espagne) d’essayer de comprendre les raisons et le discours de ses enfants. Cinquante ans plus tard, une partie de la Catalogne ne croit plus en La pell de brau . Et une partie de l’Espagne préfère la rudesse de l’arène ibérique. Reste-t-il un moment dans l’histoire pour des retrouvailles ? Serait-ce la législature d’une Espagne plurinationale ?
L’Espagne est un pays d’une merveilleuse diversité, où coexistent des langues, des cultures et des identités différentes. Cette diversité devrait être une source de fierté pour tous. C’est cela la vraie Espagne. Je pense donc que le Congrès des députés, chambre détentrice de la souveraineté nationale, doit être l’expression de cette véritable Espagne, qui est une Espagne plurielle et diverse. Cette approche peut contribuer à rapprocher les citoyens des institutions. Je travaillerai dans ce sens.
La philosophie est compréhensible, mais quel nom donner à l’Espagne plurielle ? L’Espagne plurinationale ? L’Espagne fédérale ?
Je pense que les noms sont le moins important. L’important est que cette dynamique avance et que les citoyens s’y sentent représentés. Il faut tisser, il faut construire des ponts.
Il me semble que vous faites référence à un fil musical, à la création d’une ambiance, d’une atmosphère. Cependant, dans votre discours, il n’y avait pas que de la musique d’ambiance. Vous avez annoncé que lors des prochaines sessions du Congrès, les membres pourront s’exprimer en catalan, en basque et en galicien. C’est l’un des points sur lesquels son parti s’est mis d’accord avec Junts per Catalunya et Esquerra Republicana, avec le soutien de Sumar. Comment cet accord sera-t-il mis en œuvre ?
Dans mon premier discours, j’ai essayé d’être clair et efficace. Je pense qu’il est merveilleux que les langues officielles des différents territoires puissent être reflétées au sein du Congrès. La première chose que je vais faire est d’organiser un tour de table avec les groupes parlementaires. J’aimerais que l’accord soit large. Ensuite, nous nous pencherons sur la mise en œuvre matérielle de l’accord.
A-t-il un support juridique ?
D’un point de vue juridique, c’est clair. Le règlement intérieur du Congrès n’empêche pas cette initiative. Le règlement intérieur du Congrès n’établit pas la langue à utiliser dans les débats. J’insiste, ma première intention est de rencontrer les groupes à la recherche d’un large accord. C’est mon objectif aujourd’hui. Il est évident que tous les députés ne connaissent pas toutes les langues de l’Espagne, nous devrons donc chercher des solutions techniques pour rendre possible la compréhension dans le débat et aussi pour la compréhension des téléspectateurs qui suivent les débats à travers les médias audiovisuels. D’abord, le tour des partis à la recherche d’un large accord réglementaire ; ensuite, la technique.
Armengol, pendant un moment de l’interview.
Vingt-quatre heures ne se sont pas écoulées depuis son premier discours devant le Congrès que déjà des discussions animées s’engagent sur l’utilisation des langues au Congrès. Le nouveau gouvernement de la Generalitat Valenciana, formé par le Parti populaire et Vox, dénonce la marginalisation du valencien, nom donné dans la Communauté valencienne à la variable de la langue catalane parlée par une bonne partie de ses habitants. Vous êtes originaire des Baléares. Qu’en pensez-vous ? La langue parlée par les Valenciens est-elle marginalisée ?
Tout d’abord, je dois dire que je suis heureux que l’actuel gouvernement valencien s’intéresse à la nouveauté que constitue le fait que le Congrès des députés devienne l’expression de la diversité linguistique espagnole. Je crois que cet intérêt est une bonne nouvelle. Je travaillerai pour que tous les citoyens de ce pays qui ont une langue co-officielle sur leur territoire puissent la voir reflétée au Congrès, utilisée par leurs représentants légitimes. C’est important, très important. Je vous demande de réfléchir calmement à cette question. Cela pourrait avoir une grande valeur pédagogique pour les jeunes générations. En ce qui concerne la discussion sur les variables linguistiques, je suis un homme politique, pas un philologue. J’accepte les résolutions de l’Acadèmia Valenciana de la Llengua (AVL), qui sont très claires. [En 2013, la AVL dictaminó que valencianos, catalanes, baleares y habitantes de otros antiguos territorios de la antigua Corona de Aragón hablan la misma lengua. Posteriormente, en 2014, la AVL estableció que esa lengua común puede recibir el nombre de catalán. En la Comunidad Valenciana prevalece el nombre de valenciano y así figura en su estatuto de autonomía].
Comment régler ce différend de longue date ?
Je travaillerai pour qu’après tant d’années de discussions, de projets et de tentatives, les Galiciens, les Basques, les Navarrais, les Catalans, les Baléares et les Valenciens puissent voir leur discours reflété au Congrès.
Ne pensez-vous pas qu’une loi linguistique serait nécessaire pour développer le mandat constitutionnel de protection des langues minoritaires en Espagne ?
Je ne vais pas me prononcer sur la nécessité d’une loi linguistique en Espagne. Je vais me concentrer sur le fait que toutes les langues parlées en Espagne font partie du patrimoine du peuple espagnol et qu’il est important qu’elles soient perçues comme une richesse collective, y compris au sein du Congrès des députés. Le Sénat a déjà pris cette mesure. L’Institut Cervantès a travaillé de manière très importante et louable dans ce sens.
Il pourrait être paradoxal que, dans quelques mois, il soit plus facile de parler catalan au Congrès que dans certaines zones ou fonctions publiques des Baléares et de la Communauté valencienne, compte tenu des propositions que Vox a présentées au PP.
J’espère que ce n’est pas le cas. Il serait très triste que nous fassions des progrès au Congrès et dans les institutions européennes et qu’il y ait des politiques visant à restreindre certaines communautés bilingues.
Avez-vous pu vous faire une idée de l’atmosphère qui règne au sein du Bureau du Congrès et pensez-vous qu’ils vont se comprendre ?
Nous avons déjà eu une première réunion et l’atmosphère a été cordiale. Tous les rouages doivent être mis en place pour que le Congrès puisse fonctionner. Des jours importants nous attendent.
Êtes-vous le président du Congrès qui favorisera les relations entre Pedro Sánchez et Carles Puigdemont ? Êtes-vous le dirigeant socialiste qui entretient les meilleures relations avec l’ancien président de la Generalitat ?
Je n’ai pas parlé à M. Puigdemont depuis un certain temps. J’ai coïncidé avec lui lorsqu’il était président de la Generalitat de Catalunya et que j’étais chef du gouvernement des Baléares. Nous avons travaillé ensemble. J’ai toujours défendu l’idée que des communautés voisines devaient collaborer. Et avec la Catalogne, les Baléares partagent beaucoup de choses : l’histoire, la culture, la langue, les intérêts économiques… et la mer Méditerranée.
Voyez-vous la cohésion du PSOE face à cette nouvelle législature ?
Oui, tout à fait.
Êtes-vous le dernier Maragallista de la politique espagnole ?
(Sourires) J’admirais beaucoup Pasqual Maragall. J’étudiais à Barcelone, lorsqu’il était maire de la ville olympique. J’ai alors eu l’honneur de le rencontrer et de m’entretenir avec lui. Avant qu’il ne tombe malade, c’était un homme qui avait une vision à long terme et cela m’intéresse beaucoup.
Lire aussi